Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/446

Cette page a été validée par deux contributeurs.
440
REVUE DES DEUX MONDES.

patentes, le privilége de fournir, seul, les autos à la capitale de la monarchie, et qu’il exploita ce monopole pendant trente-sept ans. Calderon ne fut pas moins célèbre dans les drames héroïques, autres compositions réprouvées aujourd’hui comme les divines comédies, mais alors en aussi grand honneur. Elles étaient pour l’art dramatique exactement ce qu’étaient les romans de chevalerie pour l’art littéraire. Chassés des livres par le don Quixote, ceux-ci semblaient s’être réfugiés sur le théâtre, auquel il appartenait pourtant plus spécialement d’en faire justice. Citer les titres de quelques-uns de ces drames, tels que la vie de Sémiramis fille de l’air, les Aspics de Cléopâtre, la jalousie de Rodomont, les exploits de Roland et du géant Galafre au pont d’Amantible, c’est donner une idée de leur contenu. Il faut se borner à considérer Calderon comme auteur de comédies de capa y espada. Ce n’est ni par la variété, ni par la peinture des caractères qu’il brille. Dans ses cent et quelques pièces, on trouve toujours des galans braves et favorisés, des dames amoureuses et dévergondées, des rivaux jaloux et pleureurs, des pères imbéciles, des frères spadassins, des valets familiers, insolens et entremetteurs. C’est toujours le même canevas, toujours le même genre d’intrigues et d’aventures. Mais, avec un fonds et des élémens semblables, quelle infinie variété de combinaisons, d’incidens, de résultats ! quel mouvement, quelle vivacité, quelle plénitude ! D’ordinaire le spectateur marche plus vite que le poète ; il le devine, le presse, le devance. Avec Calderon, le contraire arrive ; jamais il ne se laisse passer de vitesse, et le spectateur a peine à le suivre, emporté par le tourbillon de sa prodigieuse activité. Certes, si l’art dramatique était uniquement l’art de combiner une action, de la compliquer d’autres actions parallèles, d’entasser les incidens, les surprises, et de serrer étroitement le nœud pour couper ensuite brusquement tous ces fils emmêlés, Calderon serait le premier auteur comique du monde.

Pendant sa longue carrière, commencée à treize ans par la comédie el Carro del cielo, et terminée à quatre-vingt-un par celle de Hado y divisa, parut et brilla près de lui Moreto, moins connu de nos jours, mais alors son rival de gloire en Espagne et chez les nations étrangères. Moreto est inférieur à Calderon dans l’invention du sujet, dans la disposition du plan ; mais son exposition est plus