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REVUE DES DEUX MONDES.

que j’aille ? (Il fait quelques pas vers la maison). Ah ! cette maison déserte ! Non, par le ciel, je n’y retournerai pas ce soir. Si ces deux chambres-là doivent être vides cette nuit, la mienne le sera aussi. Il ne s’est pas défendu. Je n’ai pas senti son épée. Il a reçu le coup, cela est clair. Il va mourir chez Manfredi.

C’est singulier. Je me suis pourtant déjà battu. Lucrèce partie ! seule ! par cette horrible nuit ! Est-ce que je n’entends pas marcher là-dedans ?

(Il va du côlé des arbres.)

Non, personne. Il va mourir. Lucrèce seule ! avec une femme ! Eh bien ! quoi ? Je suis trompé par cette femme. Je me bats avec son amant. Je le blesse. Me voilà vengé. Tout est dit. Qu’ai-je à faire à présent ?

Ah ! cette maison déserte ! cela est affreux. Quand je pense à ce qu’elle était hier au soir ! À ce que j’avais, à ce que j’ai perdu ! Qu’est-ce donc pour moi que la vengeance ? Quoi ? Voilà tout ? Et rester seul ainsi ? À qui cela rend-il la vie, de faire mourir un meurtrier ? Quoi ? Répondez ? Qu’avais-je à faire de chasser ma femme ? d’égorger cet homme ? Il n’y a point d’offensé. Il n’y a qu’un malheureux. Je me soucie bien de vos lois d’honneur ! Cela me console bien que vous ayez inventé cela pour ceux qui se trouvent dans ma position ? que vous l’ayez réglé comme une cérémonie ? Où sont mes vingt années de bonheur ? ma femme ? mon ami ? le soleil de mes jours ? le repos de mes nuits ? Voilà ce qui me reste. (Il regarde son épée.) Que me veux-tu, toi ? On t’appelle l’ami des offensés. Il n’y a point ici d’homme offensé. Que la rosée essuie ton sang. (Il la jette.)

Ah ! cette affreuse maison ! Mon Dieu ! mon Dieu ! (Il pleure à chaudes larmes.)


L’enterrement passe.
ANDRÉ.

Qui enterrez-vous là ?

LES PORTEURS.

Nicolas Grémio.

ANDRÉ.

Et toi aussi, mon pauvre vieux, et toi aussi tu m’abandonnes !



FIN DU DEUXIEME ACTE.