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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

gures qui semblassent sortir du centre de la terre, par le plancher du théâtre, et moins encore de nuages qui descendissent du ciel avec des anges ou des âmes. Le théâtre se composait de quatre planches portées par quatre bancs en carré, qui les élevaient à quatre palmes de terre. Tout le décor était une vieille couverture tirée par deux cordes d’un bout à l’autre, pour faire ce qu’on appelle le vestiaire, et derrière laquelle se tenaient les musiciens, qui chantaient, sans guitare, quelque ancien romance. »

À la même époque (1561), la cour d’Espagne, qui avait jusque-là voyagé d’une capitale de province à l’autre, se fixa tout-à-fait à Madrid. Cette circonstance fut favorable à l’art dramatique, en fixant aussi le théâtre. Des documens authentiques attestent qu’un an après la mort de Lope de Rueda, il y avait à Madrid des salles de spectacle (corrales de comedias). On comptait alors, tant dans la capitale que dans les provinces, plusieurs troupes d’acteurs qui se distinguaient entre elles par des noms bizarres et ridicules. Peu de temps après, Juan de Malara, célèbre professeur d’humanités, plus connu sous le nom du commentateur grec (comentador griego), fit jouer à Salamanque un drame en vers intitulé Locusta, qu’il avait d’abord écrit en latin. Puis vint un acteur de Tolède, nommé Navarro, lequel fut appelé l’inventeur des théâtres, pour avoir apporté quelque pompe à la représentation. « Il changea, dit Cervantès, le sac des habits en coffres et malles ; il mit en avant la musique, jusque-là cachée derrière la couverture ; il ôta les barbes postiches aux acteurs dont les rôles ne les requéraient pas ; il inventa les machines, les nuages, les tonnerres et les éclairs, les défis et les batailles. » Un certain Cosme d’Oviedo imagina, dans le même temps, les affiches, et, pendant ces progrès matériels, l’art théâtral prenait aussi des développemens moraux. Ce n’étaient déjà plus les églogues pastorales de Lope de Rueda, mais des pièces animées de quelque intrigue, où les passions commençaient à servir de ressort et à produire l’intérêt. Voici les titres de quelques-unes de ces pièces qui forment le passage entre l’enfance de l’art et sa virilité ; ils peuvent donner une idée des sujets : Didon et Énée ou le pieux Troyen, le Grand-Prieur de Castille, la Loyauté contre son roi, le Soleil à minuit et les étoiles à midi, la Prise de Séville par