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LES CAPRICES DE MARIANNE.

plus. Veux-tu des conseils ? je suis ivre. Veux-tu mon épée ? voilà une batte d’arlequin. Parle, parle, dispose de moi.

CŒLIO.

Combien de temps cela durera-t-il ? huit jours hors de chez toi ! tu te tueras, Octave.

OCTAVE.

Jamais de ma propre main, mon ami, jamais ; j’aimerais mieux mourir que d’attenter à mes jours.

CŒLIO.

Et n’est-ce pas un suicide comme un autre, que la vie que tu mènes ?

OCTAVE.

Figure-toi un danseur de corde, en brodequins d’argent, le balancier au poing, suspendu entre le ciel et la terre ; à droite et à gauche, de vieilles petites figures racornies, de maigres et pâles fantômes, des créanciers agiles, des parens et des courtisanes, toute une légion de monstres, se suspendent à son manteau, et le tiraillent de tous côtés pour lui faire perdre l’équilibre ; des phrases redondantes, de grands mots enchâssés cavalcadent autour de lui ; une nuée de prédictions sinistres l’aveugle de ses ailes noires. Il continue sa course légère de l’orient à l’occident. S’il regarde en bas, la tête lui tourne ; s’il regarde en haut, le pied lui manque. Il va plus vite que le vent, et toutes les mains tendues autour de lui ne lui feront pas renverser une goutte de la coupe joyeuse qu’il porte à la sienne. Voilà ma vie, mon cher ami ; c’est ma fidèle image que tu vois.

CŒLIO.

Que tu es heureux d’être fou !

OCTAVE.

Que tu es fou de ne pas être heureux ! dis-moi un peu, toi, qu’est-ce qui te manque ?

CŒLIO.

Il me manque le repos, la douce insouciance qui fait de la vie un miroir où tous les objets se peignent un instant, et sur lequel tout glisse. Une dette pour moi est un remords. L’amour, dont, vous autres, vous faites un passe-temps, trouble ma vie entière.