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REVUE. — CHRONIQUE.

vouées tout entières à la grande lutte de notre époque, en apprenant qu’une des plus nobles victimes de l’Autriche allait élever la voix pour raconter ses dix années de souffrances, devaient s’attendre à quelque éloquente et amère philippique contre la tyrannie ; mais il n’en est rien : ne cherchez pas dans ce volume des renseignemens sur les révolutions italiennes, sur les carbonarismes et les procès politiques de ce temps-là. Prenez et lisez-le comme vous feriez de l’œuvre d’un chrétien des premiers siècles, écrite au sortir des catacombes. On a ri quelque part de cette résignation chrétienne ; le sourire du dédain est venu sur certaines lèvres à l’aspect de cette mansuétude évangélique, de cette débonnaireté inouïe du martyr du Spielberg. Ceux qui l’ont fait croient-ils que le poète italien eût été à court, s’il eût voulu maudire et appeler la vengeance ? Son livre n’eût pas manqué alors d’échos empressés ; mais après tout c’eût été un livre vulgaire : tel qu’il l’a fait, il est sublime et servira mieux sa patrie que vingt conspirations de carbonari. Il faut bien qu’il y ait une vertu cachée dans la victime qui pardonne à ses bourreaux, puisque ceux de Pellico ne veulent même pas qu’on sache qu’il a pardonné. À l’heure qu’il est, le Mie Prigioni sont à l’index dans tout le royaume lombardo-vénitien.

On se rappelle les craintes et les redoublemens de rigueurs de la cour de Vienne dans ses possessions d’Italie, lorsqu’éclata, en 1820, la révolution de Naples. Tout ce qu’il y avait d’hommes généreux dans la Lombardie fut alors sous le coup des lois portées contre le carbonarisme, lois qui se prêtaient admirablement à toutes les exigences du pouvoir le plus absolu. L’auteur de Francesca di Rimini, l’ami de Monti, Foscolo, Porro, Confalonieri, etc., fut arrêté le 13 octobre 1820 et jeté dans la prison de Sainte-Marguerite à Milan, où il resta jusqu’au 19 février 1821. Ce jour-là, on le fit partir pour Venise, où siégeait la commission spéciale instituée pour juger les accusés de complot contre l’état. Cette commission employa à instruire le procès une année entière que le prisonnier passa sous les plombs, dans la partie supérieure du palais du doge, enfermé pendant l’été dans une chambre brûlante exposée au midi, et pendant l’hiver dans une chambre glaciale exposée au nord, précieuse tradition vénitienne que l’Autriche a religieusement conservée. Vint enfin le moment de la sentence. Pellico fut conduit avec son ami Maroncelli sur un échafaud élevé en face du palais du doge, et là tous deux entendirent leur condamnation à la peine de mort, commuée gracieusement, par la clémence de l’empereur, en celle du carcere duro, à savoir Maroncelli pour vingt ans, et Pellico pour quinze ans. Le carcere duro est quelque chose d’intermédiaire entre l’enfer du Dante et les galères.

Le 10 avril 1822, les deux condamnés arrivèrent au Spielberg, forteresse