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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

Mon hôte tenta un dernier effort pour me retenir. Il lui restait une grande chambre où il avait empilé une société de cinq voyageurs, un de plus ne devait rien leur faire sur la quantité ; il me demanda donc si je me contenterais comme eux et avec eux d’un matelas posé à terre, et sur ma réponse affirmative, il s’achemina, moi le suivant, vers leur chambre, d’où sortait un vacarme épouvantable. Nos voyageurs se battaient à coups de traversin, pour conquérir les uns sur les autres chacun un emplacement de trois pieds de large sur six de long, la grandeur de la chambre n’ayant pas paru leur offrir au premier abord cinq fois cette mesure géométrique. Je jugeai, à part moi, que le moment était mal choisi pour la demande que nous venions faire : mon hôte fit probablement la même réflexion, car il se retourna de mon côté avec un air d’embarras si marqué, que je me décidai à faire ma commission moi-même. Je poussai doucement la porte, et je m’aperçus que provisoirement la bataille se passait dans la nuit, les projectiles ayant éteint les lumières : dès-lors ma résolution fut prise.

Je soufflai la chandelle de mon hôte, ce qui fit rentrer le corridor dans une obscurité aussi complète que celle où était la chambre ; je lui recommandai de ne retrouver sous aucun prétexte la deuxième clef de la porte, et je le priai de me laisser me tirer d’affaire tout seul. Il ne demandait pas mieux.

La petite guerre continuait toujours, et les éclats de rire des combattans faisaient un tel bruit, que j’entrai dans la chambre, refermai la porte à double tour, et mis la clef dans ma poche, sans qu’aucun d’eux s’aperçût qu’il venait de se glisser dans la place un surcroît de garnison.

Je n’avais pas fait deux pas, que j’avais reçu sur la tête un coup de matelas qui m’avait enfoncé mon chapeau jusqu’à la cravate.

On juge bien que je n’étais pas venu là pour demeurer en reste de compte avec ceux qui s’y trouvaient ; je n’eus qu’à me baisser pour ramasser une arme, et je me mis à frapper à mon tour avec une vigueur qui aurait dû prouver à mes adversaires qu’il venait d’arriver un renfort de troupes fraîches. Bientôt je m’aperçus que j’étais appuyé contre un angle, position, comme tout le monde sait, très favorable pour une défense individuelle. La mienne fit, à ce qu’il paraît, de si grandes merveilles, que je compris à la faiblesse