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Il se trouva dans le plus élégant boudoir, sur un beau tapis de Perse, avec des fleurs, des Chinois, du silence, une douce et molle clarté, et une odeur féminine qui s’épanchait de tous les coins de la chambre ; une robe de satin à fleurs bleues, de la gaze, des dentelles, pendaient négligemment sur le dos d’un sopha, le lit entr’ouvert était vierge encore, la mariée dormait auprès dans une bergère. C’était une de ces ravissantes figures comme il en échappait souvent au pinceau suave et coloré de Watteau, une de ces mille et une animations féminines qui n’appartenaient qu’à lui seul, et qu’il savait coucher avec tant de grâce sous une douce feuillée, ou promener si légèrement sur la terrasse d’un beau jardin ; une charmante petite frimousse au teint de rose et de lait, au sourire fin et voltigeant comme l’abeille, aux petits cheveux blonds retroussés, au collier de ruban noir, et aux formes délicates, et nageant dans une grande baigneuse ondoyante, comme la vapeur ; un enfant qui dormait de bien bon cœur, et avec tout le calme d’une recluse. Madame sa mère et une foule d’amies complaisantes et expérimentées avaient eu beau dire : Vous êtes sur les limites d’une existence nouvelle, vous allez puiser une source d’émotions inconnues, ouvrez bien les yeux ; malgré sa curiosité de jeune fille, et son impatience de femme, bien que le cœur lui battît de crainte et de désir, la fatigue du bal, la lassitude de la danse, l’avaient emporté sur toutes les autres sensations ; elle avait penché sa tête, et livré ses yeux au sommeil. Sa joue, appuyée sur son bras, gardait un petit air boudeur qui lui seyait à merveille ; son autre main pendante froissait encore par intervalle les feuilles d’une rose tombée de ses cheveux, et un de ses jolis pieds, sorti de sa pantoufle, battait doucement les bords du fauteuil, et semblait répéter en dormant la mesure et la cadence d’une gavotte ou d’une sarabande. Otto ne put faire autrement que de la regarder, tant elle était gracieuse et au naturel ; il la contempla long-temps, bien long-temps, d’abord, comme une belle chose qui prend et captive les yeux, par cela seul qu’elle est belle, ensuite comme une douce lueur qui venait un moment éclairer le noir de ses idées, comme un ange qui passait dans l’enfer de son âme ; puis à force de la regarder, à force de penser à tant de jeunesse, de bonheur et de beauté, il se sentit venir au cœur ce qu’il n’avait jamais éprouvé, un froid glacial, et