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BEATA.

— Ma jolie fauvette, est-ce ici que demeure Franz Rasmann ?

— Ici même, monsieur, entrez.

La jeune fille, revenue de sa peur, saute comme une petite chèvre, et poussant la porte, elle se remet à chanter d’une voix légère.


Mein Schatz ist ein Reiter,
Ein Reiter muss er sein ;
Das Ross ist dem Kaiser,
Der Reiter ist mein
Der Reiter…

III.

Une salle basse et enfumée, de vieux cadres, de vieux portraits, de grands rideaux de samis rouge, une fenêtre à verres croisés, un peu ouverte, et tout encadrée de plantes grimpantes, de vignes vierges et de pois de senteur ; une table revêtue d’un gros tapis, des chaises, un poêle dans un coin, une horloge de bois dans un autre ; sur la table, une lampe allumée, une bible ouverte, des lunettes posées en travers, des piles d’or renversées, une jeune fille qui compte, un jeune homme qui regarde… L’horloge sonne neuf heures. — Allons, puisque mon père me laisse toute la besogne, je vais compter les florins. — Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze… — Ce n’est pas cela, je vais recommencer. — Un, deux, trois, quatre, cinq, six.… — Ma foi, je ne puis aller plus loin !

— Pourquoi cela, mademoiselle ?

— Parce que vous me faites tromper avec vos yeux.

— Comment ?

— Vous me regardez trop.

— Qu’à cela ne tienne : vous ne me verrez plus.

— Vous vous en allez ?

— Non, je m’asseois derrière vous, voulez-vous mon genou pour chaise et mon bras pour dossier ?

— Je le veux bien, mais à une condition.

— Tout ce qu’il vous plaira.