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REVUE DES DEUX MONDES.

— J’ai vendu le nom d’un honnête homme à un fou… Jesus mein Gott, ayez pitié de moi !… qui sait ce qu’il en adviendra !

II.

Le soir, en été, quand le ciel a les pommettes rouges comme une jeune fille qui a chaud, si vous entrez dans un joli village des bords du Rhin au-delà de la Suisse, vous entendez chanter toutes les portes ; il y a là sur chaque seuil, comme oiseaux sur le bord de la branche, des groupes de voix argentines qui vous jettent en passant des bouffées d’harmonie… Ce ne sont, il est vrai, que walses, rondes, chansonnettes, trois ou quatre notes au plus, les airs les plus simples du monde ; mais vous donneriez pour cette mélodie les plus belles partitions, Beethoven, Mozart, et la meilleure prima dona de Saint-Charles et de la Scala, tant il y a dans les accords de ces jeunes chanteuses une fraîcheur et une pureté d’ensemble qui vous ravissent et vous émotionnent… C’est que vous êtes en Allemagne, sur un sol où l’instinct musical habite les lèvres les plus grossières et les moins habiles, et où la nature a voulu sans doute réparer les rigueurs du climat par le don d’une divine faculté : la musique, langage des âmes poétiques qui ne peuvent refléter leurs pensées par des mots ; parole vive, féconde, immense, infinie comme l’âme, nuancée comme l’arc-en-ciel : la musique est la rose de la Germanie, c’est la fleur qui répand tant de poésie dans l’air pesant et glacial du nord, et c’est avec son parfum que le pauvre Allemand, sombre et mélancolique, se crée un rayon de soleil au milieu de ses brouillards et se fait un peu de bleu dans le ciel…


Mein Schatz ist ein Reiter,
Ein Reiter muss er sein ;
Das Ross ist dem Kaiser,
Der Reiter ist mein
Der Reiter…

Mon amant est un cavalier,
Il fallait qu’il fût cavalier ;
Le cheval est au roi,
Mais l’homme est à moi
Mais l’homme…


— Jésus mon Dieu !

La chanteuse, interrompue dans son refrain, jeta un léger cri, et fit un bond en arrière… Mais elle avait la main prise et serrée dans celle d’un jeune homme.