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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

du Requiem, l’Ave verum, et toutes ses ravissantes compositions chrétiennes, que l’on croirait, tant elles sont angéliques et virginales, échappées à l’extase de quelque sainte Cécile ; après avoir fait parler la terrible statue, après avoir exprimé avec tant de puissance les angoisses de don Juan, laissait là son œuvre et son clavier ; l’élu de Dieu détachait de son front sa lumineuse auréole, et venait se mêler à la foule des autres hommes. Encore s’il eût abandonné son palais merveilleux pour un cercle d’amis paisibles, ou le foyer d’une famille aimée ! Mais, non ; il semble qu’une loi fatale défende à l’homme de génie d’agir comme la foule, et lui ordonne de se tenir toujours dans une sphère élevée au-dessus d’elle ; car s’il en sort pour descendre dans la vie commune, il s’enfonce plus bas que le vulgaire. Peut-être aussi y a-t-il un certain sentiment d’aristocratie cachée sous ces orgies nocturnes de l’artiste ; il sera plus haut ou plus bas que le peuple, afin de ne jamais le rencontrer sur son chemin. Étrange dualité qui fait que l’âme épanche dans l’œuvre avec profusion tout ce qui est en elle de recueillement, d’amour chaste et de foi et garde pour les passions humaines la vase qui reste au fond.

La vie de Beethoven, au contraire, est toujours une, simple, régulière. L’amour de l’art naît avec lui, se développe et grandit avec son âme ; et ce feu, qui, chez les autres hommes, couve les passions et les vices, est si ardent chez lui, qu’il les dévore. Beethoven avait une grande idée qu’il poursuivait sans cesse, et dont jamais rien n’a pu le distraire, pas même l’amour : en effet, ce mélange divin de joie et d’amertume, qui nous révèle l’existence, cette extase que tout homme ressent une fois en sa vie, n’a jamais trouvé place dans son cœur : Beethoven n’a jamais aimé ; mais, comme Dante ou Pétrarque, il avait aussi sa mystique dame, sa Béatrix et sa Laure à lui : c’était une mélodie suave, tremblotante et douteuse, dont l’œil ne saisit pas la forme, et que pourtant il voit flotter dans l’azur lointain :

Bianco vestita e nella facie quale
Per tremolando matutina stella.

Dans la vie privée comme dans l’art, Beethoven est toujours le