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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

vaient plus vendre leurs corps aux vivans ! Cortége scandaleux qui s’est promené deux cents ans dans la cité libre, et qui a disparu le jour où Jésus a chassé du temple les marchands qui venaient pour y trafiquer.

L’orgue résume toute la musique du moyen âge, et en effet toutes les compositions étant religieuses, c’était à l’orgue qu’on devait avoir recours. Au seizième siècle, l’Italie, déjà si riche en poésie, donne au monde Palestrina, nouveau fleuron que cette reine des arts ajoute à sa couronne. Palestrina est le premier de tous ces maîtres italiens, et je n’en excepte pas même Cimarosa et Rossini, qui se sont succédé jusqu’à nos jours. Sa musique est pure, suave, angélique, toujours fraîche d’idées, simple d’effets ; l’art n’est pour lui qu’un moyen de donner essor à sa pensée religieuse. Eh bien ! toute cette harmonie sainte et naïve, tous ces chants divins de Palestrina et des maîtres de son école, après s’être répandus en Italie, arrivent enfin en Allemagne, et se perdent dans le vaste cerveau de Beethoven. Palestrina, Handel, et vous tous, maîtres illustres, sur lesquels le jeune homme a pâli, venez entendre le Christ au mont des Oliviers, la symphonie en ut, et vous reconnaîtrez vos phrases chastes et sévères, et toutes les chrétiennes inspirations de vos momens d’extase. Mais vous vous étonnez de cet orchestre immense. Palestrina, c’est bien là ta mélodie vague, flottante, aérienne ; mais la forme qui l’enveloppe, comme elle s’est agrandie, comme elle est devenue gigantesque ! Heureux, n’est-ce pas ? heureux, celui qui est arrivé avec ta foi et ton génie dans un temps où ce monde était découvert, ce mystère révélé ! Heureux le créateur qui peut animer toutes ces masses de cuivre, et rassembler dans l’unité de l’œuvre tant de sons formidables et confus ! Palestrina, la mélodie pour toi est une perle cristalline dont jamais rien n’altère la douce lueur ; tu la jettes sur le sable humide et fin, et la perle brille au milieu des coquillages d’or, et le soleil se mire en sa transparence : cette perle, Beethoven la possède aussi ; mais comme il joue capricieusement avec elle ! À peine elle est tombée sur l’arène, à peine elle commence à luire paisiblement, que le créateur souffle ; et voici l’océan qui la roule dans ses flots. Tantôt elle glisse sur la surface d’une vague, et l’éclaire en passant d’une lueur phosphorescente ; tantôt elle bondit sur un rocher et se replonge dans le gouffre. Quelquefois