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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

de Neefer, dans la charge d’organiste de la cour, et lui accorda un congé d’une année, afin qu’il pût aller à Vienne, terminer ses études aux frais de l’état, sous les yeux de Joseph Haydn. Mais à peine Beethoven commençait-il à sentir tout le prix des leçons d’un tel maître, que celui-ci, appelé en Angleterre, se vit forcé de confier son jeune élève au digne maître de chapelle Albrechsberger, qui l’initia aux mystères du contrepoint.

Déjà Beethoven s’était fait connaître par un grand nombre d’admirables compositions, déjà il passait à Vienne pour un pianiste du premier ordre, lorsque, dans les dernières années du siècle passé, surgit en Wolf un rival digne de lui. Alors se renouvela en quelque sorte la querelle des Glukistes et des Piccinnistes ; les nombreux amateurs de la ville impériale se divisèrent en deux partis. À la tête des soutiens de Beethoven était le prince Rodolphe, et parmi les plus zélés protecteurs de Wolf, le baron de Metzler, dont la magnifique villa, située au penchant d’une colline non loin du château de Schœnbrunn, toujours ouverte aux artistes allemands et étrangers, leur offrait un séjour délicieux pendant les beaux mois de l’été. Ce fut là que se livra le combat des deux jeunes artistes, là que les amateurs furent admis au spectacle de cette harmonieuse lutte. Les deux rivaux présentent d’abord les produits de leur imagination, puis se placent à leur piano : c’est là que sont les limites de leurs camps ; c’est de là qu’ils doivent s’attaquer, se défendre, et entretenir pendant une heure le feu de cette artillerie, d’où les notes jaillissent en mitraille, en éclats, en fusées. Ils improvisent tour à tour sur des thèmes qu’ils se jettent mutuellement ; l’un répond à l’autre, c’est un concert qui semble ne devoir pas finir. Un chant s’élève limpide et clair sous les doigts de Wolf, et va se perdre aussitôt dans le clavier de Beethoven, comme un ruisseau dans l’océan ; car Beethoven en fureur

    de le déconcerter, se mit à lui écrire un motif chromatique et fugué d’une extrême difficulté, qu’il étala aussitôt sur le pupitre. Beethoven travailla le thème donné pendant trois quarts d’heure avec tant de grâce, de verve, d’originalité, de génie, que son auditeur, émerveillé, devint de plus en plus attentif ; et Mozart, transporté, s’écria en face de tous ses amis rassemblés : « Faites attention à ce jeune homme, il ira loin. »