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ANDRÉ DEL SARTO.
CÉSARIO, continuant.

Du nouveau ! à tout prix, du nouveau ! Eh bien ! maître, quoi de nouveau ce matin ?

ANDRÉ.

Toujours gai, Césario ? Tout est nouveau aujourd’hui, mon enfant ; la verdure, le soleil et les fleurs, tout sera encore nouveau demain. Il n’y a que l’homme qui se fasse plus vieux, tout se fait plus jeune autour de lui chaque jour. Bonjour, Lionel ; levé de si bonne heure, mon vieil ami ?

CÉSARIO.

Alors les jeunes peintres ont donc raison de demander du neuf, puisque la nature elle-même en veut pour elle, et en donne à tous.

LIONEL.

Songes-tu à qui tu parles ?

ANDRÉ.

Ah ! ah ! déjà en train de discuter ? La discussion, mes bons amis, est une terre stérile, croyez-moi ; c’est elle qui tue tout. Moins de préfaces, et plus de livres. Vous êtes peintres, mes enfans ; que votre bouche soit muette, et que votre main droite parle pour vous. Écoute-moi cependant, Césario. La nature veut toujours être nouvelle, c’est vrai ; mais elle reste toujours la même. Es-tu de ceux qui souhaiteraient qu’elle changeât la couleur de sa robe, et que les bois se colorassent en bleu ou en rouge ? Ce n’est pas ainsi qu’elle l’entend ; à côté d’une fleur fanée naît une fleur toute semblable, et des milliers de familles se reconnaissent sous la rosée aux premiers rayons du soleil. Chaque matin l’ange de vie et de mort apporte à la mère commune une nouvelle parure, mais toutes ses parures se ressemblent. Que les arts tâchent de faire comme elle, puisqu’ils ne sont rien qu’en l’imitant. Que chaque siècle voie de nouvelles mœurs, de nouveaux costumes, de nouvelles pensées. Mais que le génie soit invariable comme la beauté. Que de jeunes mains, pleines de force et de vie, reçoivent avec respect le flambeau sacré des mains tremblantes des vieillards ; qu’ils la protègent du souffle des vents, cette flamme divine qui traversera les siècles futurs, comme elle a fait des siècles passés. Retiendras-tu cela, Césario ? Et maintenant, va travailler ; à l’ouvrage, à l’ouvrage ! la vie est si courte !

(Il le pousse dans l’atelier.)
(À Lionel)

Nous vieillissons, mon pauvre ami. La jeunesse ne veut plus guère de nous. Je ne sais si c’est que le siècle est un nouveau-né, ou un vieillard tombé en enfance.

LIONEL.

Mort de Dieu ! il ne faut pas que vos nouveau-venus m’échauffent par trop les oreilles ! je finirai par garder mon épée pour travailler.