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PHILOSOPHIE DE SCHELLING.

Réaliser cette notion sur la surface du globe : telle est la mission de l’homme.

Aux deux extrémités de sa carrière terrestre se trouve donc, au point de départ, la notion du droit ; au dernier but qu’il doit atteindre, la réalisation de cette notion du droit.

C’est à toucher ce but définitif qu’il doit tendre de tous ses efforts, c’est la dernière borne qu’il lui sera donné d’atteindre ; ce sont les colonnes d’Hercule que l’humanité ne saurait dépasser.

Ajoutons, dès à présent, afin de nous rendre plus intelligibles, que la réalisation de la notion du droit aura un symbole extérieur et visible, un signe apparent ; ce sera la fusion de tous les peuples du monde en un seul peuple, la fusion de tous les états en un seul état, où l’on ne connaîtra d’autres règles et d’autres lois que ce qui est bon, juste et légitime : où le droit, en un mot, régnera, où le droit sera sur le trône.

Mais où l’homme puise-t-il la force de parcourir sa longue et douloureuse carrière ? À quelle impulsion obéit-il ? Est-ce à l’énergie spontanée de sa propre volonté ? Est-ce, au contraire, à une impulsion du dehors ? Est-il libre, indépendant ? ou, loin de là, n’est-il qu’un esclave, qu’un instrument ? Ici commencent les difficultés.

Depuis l’origine des âges, l’homme n’a jamais cessé de croire à une puissance invisible, aux soins de laquelle il a supposé qu’était remis l’accomplissement de ses destinées. Il supplie avec effroi cette puissance, sous le nom de destin, de fatalité ; il l’implore et la bénit sous celui de providence. En même temps nous le voyons pourtant témoigner, par tous ses instincts, qu’il s’estime un être libre, indépendant. La liberté lui semble un droit inhérent à sa nature. On lui briserait le cœur avant d’en extirper cette conviction.

Ainsi, en même temps qu’enivré de la pensée de sa liberté, l’homme s’avance sur la terre en souverain, en dominateur, au-devant de ses pas, l’impassible nécessité ne lui en trace pas moins, du doigt, la route dont il ne saurait s’écarter un seul instant.

Comment donc concilier cette contradiction ? Comment enchaîner l’une à l’autre la nécessité et la liberté ? Où trouver un lien entre ces deux choses qui semblent nécessairement s’exclure ? Là est le problème le plus élevé de la philosophie de l’histoire, ou pour mieux dire, là est la philosophie de l’histoire tout entière.