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ANDRÉ DEL SARTO.
DAMIEN.

Insensé ! en es-tu venu là ? André, ton ami, le mien, le bon, le pauvre André !

CORDIANI.

Elle m’aime, ô Damien, elle m’aime ! Que vas-tu me dire ? je suis heureux. Regarde-moi ; elle m’aime ! Je cours dans ce jardin depuis hier ; je me suis jeté dans les herbes humides ; j’ai frappé les statues et les arbres, et j’ai couvert de baisers terribles les gazons qu’elle avait foulés.

DAMIEN.

Et cet homme qui te surprend ! À quoi penses-tu ? Et André, André ! Cordiani !

CORDIANI.

Que sais-je ? je puis être coupable, tu peux avoir raison, nous en parlerons demain, un jour, plus tard ; laisse-moi être heureux. Je me trompe peut-être, elle ne m’aime peut-être pas ; un caprice, oui, un caprice seulement, et rien de plus, mais laisse-moi être heureux.

DAMIEN.

Rien de plus ? et tu brises comme une paille un lien de vingt-cinq années ? et tu sors de cette chambre ? Tu peux être coupable ? et les rideaux qui se sont fermés sur toi sont encore agités autour d’elle ? et l’homme qui te voit sortir crie au meurtre ?

CORDIANI.

Ah ! mon ami, que cette femme-là est belle !

DAMIEN.

Insensé ! insensé !

CORDIANI.

Si tu savais quelle région j’habite ! comme le son de sa voix seulement fait bouillonner en moi une vie nouvelle ! comme les larmes lui viennent aux yeux au-devant de tout ce qui est beau, tendre, et pur comme elle ! Ô mon Dieu ! c’est un autel sublime que le bonheur. Puisse la joie de mon âme monter à toi comme un doux encens ! Damien, les poètes se sont trompés : est-ce l’esprit du mal qui est l’ange déchu ? C’est celui de l’Amour, qui, après le grand œuvre, ne voulut pas quitter la terre, et tandis que ses frères remontaient au ciel, laissa tomber ses ailes d’or en poudre, aux pieds de la beauté qu’il avait créée.

DAMIEN.

Je te parlerai dans un autre moment. Le soleil se lève ; dans une heure, quelqu’un viendra s’asseoir aussi sur ce banc, il posera comme toi ses