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SOUVENIRS SUR JOSEPH NAPOLÉON.

M. le marquis de M***, grand-chambellan du roi, colonel de la garde civique de Madrid, et mari d’une des femmes les plus jolies et les plus spirituelles de la péninsule, avait été fait grand d’Espagne par Joseph.

Le roi remarqua sans doute le mouvement presque imperceptible de ma physionomie ; car sans attendre ma réponse, mais aussi sans me témoigner aucun mécontentement, il ajouta : « J’oubliais que vous êtes Français, et que vous ne pouvez pas encore bien connaître Madrid. Qui est de service avec vous ?

« — Sire, c’est Daoiz.

« — Envoyez-le-moi, sur-le-champ. »

C’était une opinion généralement répandue, que madame de M***, la femme du marquis espagnol, dont le nom avait appelé sur mes lèvres un sourire indiscret, n’était pas indifférente au roi. Le nom de cette dame se trouvait accolé à celui de Joseph dans toutes les chansons satiriques que les partisans de Ferdinand vii se plaisaient à faire circuler à Madrid. Les Français qui ont visité à cette époque la capitale de l’Espagne, doivent se rappeler un romance, alors fort en vogue dans une certaine classe du peuple, et dont je me bornerai à citer ce couplet intraduisible :

De M*** la dama
Tiene un tintero,
Donde moja su pluma
Don José primero.
Traelo Marica, etc.

Voici d’ailleurs ce qu’on racontait sur la manière dont le roi avait fait connaissance avec cette belle Espagnole :

En 1808, après la capitulation de Baylen, Joseph avait transporté son quartier général à Vittoria ; il y habitait une charmante maison, décorée à la française avec un luxe qui n’excluait pas l’élégance. Cette maison avait été destinée au roi, comme étant la plus belle et la plus convenable de la ville ; elle appartenait au marquis de M***, le plus riche hidalgo du señorio de Biscaye. Celui-ci, en homme bien appris, et afin de laisser plus de liberté à l’hôte qu’il était fier de recevoir, s’était retiré avec sa famille dans une maison voisine, dont les croisées faisaient face à celles de la demeure