on se rappelle encore au Sénégal la guerre opiniâtre que se firent Amar Moctar et son compétiteur, et à la suite de laquelle, celui-ci, vaincu, laissa son épouse expirante à la discrétion du vainqueur, qui lui parla en ces termes ;
« Tu vois que Dieu a puni la rébellion de ton mari en lui arrachant une victoire qu’il avait presque remportée, viens dans ma tente, et oublie pour toujours ton époux si coupable. »
L’épouse répondit :
« Mon mari est loin d’être entièrement vaincu : tremble toi-même, traître ; dans quelque temps il portera de nouveau au milieu de ton camp la terreur et la mort, et fera valoir les droits que tu as méconnus. »
En effet, quand le parti vaincu ne pouvait employer la force ouverte, il avait recours à la ruse contre le vainqueur.
C’est ainsi qu’on peut expliquer la vengeance que le parti du jeune Moctar tira, en juillet 1831, de Jean Malywouare, nègre libre, partisan de Mohammed-el-Habyb. Ce noir descendait tranquillement le Sénégal, sur son bâtiment chargé de gomme, de plumes et d’objets de poterie fabriqués dans le Foutah, lorsqu’à la hauteur de l’île aux Caïmans[1], plusieurs Maures se reposant à l’ombre d’un bouquet de gommiers et de tamariniers, sur la rive droite du fleuve, l’invitèrent à venir palabrer pour faire un échange de nattes et de viande sèche.
Jean Malywouare avait à peine atteint la rive qu’il fut frappé d’un coup de feu, et paya de sa vie son imprudente confiance. Plusieurs noirs de son équipage furent blessés dans le combat qui s’engagea, les autres vinrent à Saint-Louis porter l’épouvante qu’un événement aussi grave devait répandre parmi les marchands français.
Dans le moment de l’effervescence qui suivit cette nouvelle, on fit arrêter, sur le territoire de Saint-Louis, tous les Maures qui s’y trouvaient. Le lendemain on craignait une surprise contre la ville de la part des tribus auxquelles ils appartenaient ; les noirs de la colonie coururent aux armes, et passèrent le fleuve sous le commandement de deux guerriers, Biram Touth et Biram Cossou. Mais au lieu d’une armée qu’on disait venir délivrer les captifs, ces noirs ne rencontrèrent qu’une caravane de Maures qui passaient inoffensifs sur la rive du Gandiole, revenant du marché de grain. Ceux-ci tombèrent dans l’embuscade, et bientôt on aperçut de Saint-Louis,
- ↑ Non loin de Richard Tol, jardin magnifique, planté sous le gouvernement du baron Roger.