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POÉSIE D’ANTONY DESCHAMPS.

porter sa pierre au nouvel édifice philosophique et littéraire. Nous avons parlé de ces temps comme d’un passé déjà loin, qui nous était étranger, et qu’ainsi nous pouvions observer avec calme. Pour les amis de l’art, le traducteur de Dante est tout dans cette époque, et lui-même, par son isolement prolongé, semble s’y être renfermé. Cependant, outre des souvenirs d’Italie, dont quelques-uns ont déjà paru sous le nom de satires, depuis peu on cite des morceaux pleins de chaleur et de science d’artiste, attribués à M. Antony Deschamps. Ce sont comme des lamentations, des chants tristes et suprêmes, tels que ceux de Job, où le poète exprime amèrement des souffrances qui affligent plus ses amis qu’elles ne les effraient. Soit que M. Deschamps poursuive cette âpre carrière, et, guidé par la poésie, se résigne, à l’exemple de Dante, à passer par toutes les flammes de l’expiation, soit que par un retour qui ne lui va pas moins bien, il se place dans la pure sérénité de l’art, nous lui assignerons un beau rang entre les écrivains de notre âge.

Par sa propre nature, par sa connaissance de la langue et de la terre italienne, par ses fréquentations de Dante, de Pétrarque, d’Alfiéri, M. Deschamps a d’éminentes qualités qu’aujourd’hui nul autre ne possède, et que bien peu savent apprécier. C’est une pensée franche, exacte, arrêtée, nerveuse sans efforts, élevée sans enflure, précise et lumineuse ; son style serre de près la forme et la rend au vif ; il est simple et d’une grande hardiesse, fort et jamais hyperbolique. Ce dessin ferme et solide s’éloigne à la fois des lignes tourmentées de quelques modernes et de la touche molle et fondante des lackistes ; il se prête merveilleusement à rendre l’Italie telle que l’a vue M. Antony Deschamps : un pays grave, religieux, sévère, un pays de lumière vive et de larges horizons ; non pas l’Italie de Marini, de Bernin et de Métastase, mais celle de Dante, de Michel-Ange et de Manzoni.

Voici un fragment du Miserere à la chapelle Sixtine :

 
C’était une musique à nulle autre pareille,
Et par de là les monts inconnue à l’oreille :
De vingt bouches sorti, le son faible en naissant
S’enflait et grandissait comme un fleuve puissant,