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SALON DE 1833.

joué le public de son temps à bon escient. Peut-être s’est-il aperçu que les connaisseurs de Paris mettaient les séances de la chambre fort au-dessus des grands maîtres, qu’ils ne pouvaient mener de front l’idée de liberté et l’idée de beauté ; et, sans se préoccuper plus long-temps de l’art qu’il n’avait pas étudié sérieusement, il a fait de la peinture politique : l’évènement a justifié ses espérances.

Aujourd’hui les yeux commencent à se dessiller. Nous avons plus de pitié que de haine pour une couronne tombée dans la poussière, plus de défiance que de sympathie pour la dictature qui sépare la fuite de Varennes du voyage de Cherbourg. Les passions qui ont fait la popularité d’Horace Vernet, sont apaisées ou du moins ont changé de voie. À propos de son nom il ne s’agit plus que de peinture.

Or, sans vouloir le compromettre entre Géricault, Prudhon et Bonington, sans lui demander l’énergie, la grâce ou l’éclat de ces trois maîtres, à ne peser que les cendres de sa gloire, nous les trouvons légères, et nous les jetons au vent.

Reconnaissons-le de bonne foi, sans honte et sans confusion, sa peinture n’est que médiocre, et ne possède guère que des qualités négatives. On ne peut lui refuser une grande habileté d’arrangement, et parfois même le naturel des poses. Mais il semble qu’il prenne plaisir à éluder toutes les difficultés qu’il rencontre ; s’il feuillette les chroniques anglo-saxonnes pour y prendre la bataille d’Hastings, il évitera soigneusement la grandeur épique de cette journée ; il laissera derrière le rideau les grandes figures de cette race opiniâtre qui relevait encore la tête après trois siècles d’esclavage. Nous n’aurons pas le hardi pirate qui prit un royaume comme un butin, et le partagea le lendemain de sa victoire. Non. C’est pour lui une trop large étoffe, et son œil se fatiguerait à suivre les plis de cette pourpre éclatante. Il va choisir sur le champ de bataille trois acteurs seulement, une femme, un moine, et le cadavre d’un guerrier. Pour la première, il la fait belle à sa manière, élégante selon les traditions vulgaires, mais incapable d’amour et de folie ; le moine sera partagé entre l’extase et la stupeur ; sa figure amaigrie, au lieu d’exprimer le recueillement religieux, de bénir les vaincus et d’implorer la clémence pour les débris d’une nation, se divisera puérilement entre l’admiration sensuelle de la beauté