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SALON DE 1833.

tenons avant tout à nous éclairer, nous ne refuserons pas de reconnaître toutes les qualités que nous pourrons découvrir par l’étude. Si l’analyse impartiale de ces deux poèmes lui donne raison contre nous, nous n’hésiterons pas à déclarer que depuis six ans nos yeux étaient voilés, et qu’une soudaine lumière vient de les dessiller. Qu’il en soit ainsi ! si Dieu le veut ; nous serons les premiers à nous en réjouir. Nous avouerons sans honte et sans répugnance, une fois convaincus, que Philippe-Auguste et Jules ii, Léon xii et Judith, sont de grands et admirables ouvrages ; nous confesserons notre aveuglement et notre injustice, nous ferons amende honorable, et nous ne reculerons pas devant le repentir.

Essayons. — Quelques lignes de M. Quatremère-de-Quincy ont fourni à M. Vernet le sujet de son premier tableau. Je transcris littéralement, parce qu’ici chaque mot renferme un sens important. « Michel-Ange rencontrant Raphaël dans le Vatican avec ses élèves, lui dit : Vous marchez entouré d’une suite nombreuse, ainsi qu’un général. — Et vous, répondit Raphaël au peintre du Jugement dernier, vous allez seul comme le bourreau. »

Toutes les fois qu’il s’agit d’une critique spéciale, d’une forme déterminée de l’art, je crois qu’il faut prendre garde de recourir trop vite aux idées générales. Les conceptions à priori, excellentes et indispensables lorsqu’il s’agit d’enseigner l’intelligence idéale du beau pris en lui-même, tombent souvent à faux lorsqu’on veut s’en servir pour estimer une œuvre qui, au moment de sa naissance, a revêtu un caractère individuel, et par cela même a cessé d’obéir immédiatement à des lois abstraites, pour se soumettre à des lois plus étroites et plus positives. En d’autres termes, l’idée qui prend pour interprète la forme, la couleur ou la parole, doit être jugée d’abord d’après les préceptes qui conviennent à chacun de ces signes de la pensée, avant d’être appréciée absolument, indépendamment de la révélation qu’elle a choisie. — Voyons d’abord si le tableau est bon, nous verrons ensuite si le sujet pouvait et devait devenir un tableau. De cette sorte, je l’espère, l’obscurité apparente de ces prémisses se dissipera complètement.

Bien que la foule puisse aujourd’hui librement contempler la toile de M. Vernet, je vais la décrire dans l’ordre selon lequel je l’ai successivement aperçue, pour mieux faire comprendre mes