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REVUE DES DEUX MONDES.

— C’est que nous ne sommes qu’à moitié chemin tout juste de Martigny à Chamouny,

— Je ne suis pas fatigué.

— C’est qu’il est quatre heures.

— Trois heures et demie.

— C’est que nous avons encore près de cinq lieues à faire et trois heures de jour seulement.

— Nous ferons les deux dernières lieues de nuit.

— C’est que vous perdrez un beau paysage.

— Je gagnerai un bon lit et un bon souper. Allons, en route.

Mon guide, qui avait épuisé toutes ses meilleures raisons, se remit en marche en soupirant. Nous partîmes.

Toutes les choses que je vis, tant que le jour me permit de distinguer les objets, ne furent plus que des détails du grand tableau dont l’ensemble m’avait tant frappé ; détails merveilleux pour qui les voit, mais fatigans, je crois, pour ceux à qui on essaierait de les peindre. D’ailleurs, il entre bien plus dans le plan de ces Impressions, si tant est que ces Impressions aient un plan, de parler des hommes que des localités.

Il était nuit noire lorsque nous arrivâmes à Chamouny. Nous avions fait neuf lieues de pays, qui, sans exagération, en valent bien douze ou quatorze de France ; c’était une bonne journée.

Aussi je ne m’occupai que de trois choses, que je recommande à tous ceux qui feront la route que je venais de parcourir :

La première, de prendre un bain ;

La seconde, de souper ;

La troisième, de faire remettre à son adresse une lettre contenant une invitation à dîner pour le lendemain, et portant cette souscription :

À Monsieur Jacques Balmat, dit Mont-Blanc.

Puis je me couchai.

Maintenant, je vais vous dire en deux mots et de mon lit, si toutefois sa célébrité n’est point arrivée jusqu’à vous, ce que c’est que M. Jacques Balmat, dit Mont-Blanc.

C’est le Christophe Colomb de Chamouny.