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lant aux pieds le corps de Guillaume, et le déchirant par lambeaux.

François était à quatre pas d’eux, et l’ours était si acharné à sa proie, qu’il n’avait pas paru l’apercevoir. Il n’osait tirer, de peur de tuer Guillaume s’il n’était pas mort, car il tremblait tellement qu’il n’était plus sûr de son coup. Il ramassa une pierre et la jeta à l’ours.

L’animal se retourna furieux contre son nouvel ennemi ; ils étaient si près l’un de l’autre, que l’ours se dressa sur ses pattes de derrière pour l’étouffer ; François le sentit bourrer avec son poitrail le canon de sa carabine. Machinalement il appuya le doigt sur la gâchette, le coup partit.

L’ours tomba à la renverse, la balle lui avait traversé la poitrine et brisé la colonne vertébrale.

François le laissa se traîner en hurlant sur ses pattes de devant et courut à Guillaume. Ce n’était plus un homme, ce n’était plus même un cadavre. C’étaient des os et de la chair meurtrie, la tête était dévorée presque entièrement[1].

Alors, comme il vit au mouvement des lumières qui passaient derrière les croisées, que plusieurs habitans du village étaient réveillés, il appela à plusieurs reprises, désignant l’endroit où il était. Quelques paysans accoururent avec des armes, car ils avaient entendu les cris et les coups de feu. Bientôt tout le village fut rassemblé dans le verger de Guillaume.

Sa femme vint avec les autres. Ce fut une scène horrible. Tous ceux qui étaient là pleuraient comme des enfans.

On fit pour elle, dans toute la vallée du Rhône, une quête qui rapporta 700 francs. François lui abandonna sa prime, fit vendre à son profit la peau et la chair de l’ours. Enfin chacun s’empressa de l’aider et de la secourir. Tous les aubergistes ont même consenti à

  1. J’affirme que je ne fais point ici de l’horreur à plaisir et que je n’exagère rien : il n’y a pas un Valaisan qui ignore la catastrophe que je viens de raconter, et lorsque nous remontâmes la vallée du Rhône pour gagner la route du Simplon, on nous raconta partout, avec peu de différence dans les détails, cette terrible et récente aventure.