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REVUE DES DEUX MONDES;

À voir ce beau jeune homme et son thyrse couvert
De noisettes des bois et de feuillage vert,
Et cette femme assise avec tant de noblesse,
On respire un parfum de la terre de Grèce ;
Un invisible chœur s’élève, et dans ces lieux
Chante Évoë, Liber, comme au temps des faux dieux.


Mais les païens s’en vont, et le peuple moderne
Reparaît ; car vos yeux rencontrent la giberne
D’un grenadier, ou bien le petit manteau noir
D’un abbé parfumé qui court se faire voir
Aux dames de Chiaja dans la Villa Reale.
Adieu donc le beau char et la femme idéale !
À leur place, voilà près des acquajoli
La file des landeaux et les corricoli
À l’agile cocher qui, debout par derrière,
Fouette son cheval gris courant dans la poussière ;
Puis des enfans tous nus et les lazzaroni
Sur le môle avalant les longs macaroni ;
Moines et matelots, officiers de marine,
Vêtus à l’autrichienne et tendant la poitrine,
Promenant de Tolède au Largo du palais
Et leur cocarde rouge et leurs sabres anglais ;
Près du Castel Novo la folle tarentelle,
Avec son grand nez noir le blanc polichinelle,
Et le tambour de basque et les folles chansons,
Les cris étourdissans des marchands de poissons,
Les boîtes, les pétards faisant un tel tapage,
Qu’on dirait par moment que Naple est au pillage ;
Puis des processions, des danses, et ce bruit
Durant avec fureur et le jour et la nuit !


Assez pour les vivans : en cette terre esclave
Laissons-les s’agiter sur leur pavé de lave !
Et nous, pensons aux morts, à tous ces morts romains
Dont les vieux monumens croulent sur les chemins.