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BECERRILLO.

que ne l’avait été le chien ; il ordonna qu’on la laissât libre de partir, et elle profita sur-le-champ de la permission. »

J’ai fini désormais avec Becerrillo, mais je veux vous dire encore quelque chose du capitaine Salazar, qui n’était pas un si grand monstre qu’on serait tenté de le supposer d’après ce qu’on vient de lire. Je laisserai encore parler mon vieil auteur.

« En 1410, il s’était formé entre tous les caciques de Porto-Rico une ligue secrète, qui avait pour but l’extermination totale des blancs. Profitant d’un moment où les Espagnols, qui ne soupçonnaient rien du complot, étaient dispersés sur différens points de l’île, l’armée confédérée se présenta à l’improviste devant la ville de Soto Mayor, et y mit le feu en différens points à la fois. Déjà plusieurs chrétiens avaient été massacrés, et le même sort attendait tous les autres, s’il ne se fût trouvé alors dans la ville un certain gentilhomme, nommé Diego de Salazar, lequel non-seulement était homme de bonne vie et fort dévôt à la mère de Dieu, mais encore homme de courage et de résolution. Se mettant à la tête des plus déterminés, il chargea les Indiens à diverses reprises, donna aux habitans le temps de se rallier et les conduisit, sans en laisser un seul en arrière, jusqu’au village de Caparrapa, où se trouvait le gouverneur Jean Ponce de Léon.

« Il est probable que les Indiens ne seraient pas venus attaquer le village de Soto Mayor, s’ils avaient su que Salazar s’y trouvait, car ils le craignaient comme le feu, et déjà dans une première occasion il leur avait donné un échantillon de ce qu’il savait faire. Voici le fait : Le cacique d’Aymanio avait fait prisonnier un jeune chrétien, fils d’un certain Pierre Xuares, natif de Medina, et avait décidé que le pauvre garçon servirait d’enjeu dans une partie de paume, à laquelle prendraient part tous les Indiens de son village, et que l’honneur de le mettre à mort serait la récompense du gagnant. Ceci se passait trois mois environ avant l’entreprise contre la ville de Soto Mayor. Tandis que les Indiens étaient assis au festin par lequel s’ouvrait la fête, le jeu ne devant avoir lieu que dans la soirée, un jeune Indien naboria (serviteur) du malheureux, trouva moyen de s’échapper, et arriva jusque sur les terres du cacique Guarionex, chez lequel par hasard se trouvait alors Salazar. Celui-ci, voyant le naboria qui pleurait en pensant