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bien peu d’Européens toutefois pourraient gouverner. Enfin lorsqu’il est tout-à-fait maniable, il reçoit l’ignoble nom de mancaron (rosse). Les gauchos le dédaignent il est bon pour les gringos[1].

On sent qu’un cheval ainsi brisé ne peut durer long-temps. Une des principales qualités qu’estiment les gauchos dans leurs chevaux, est la faculté de s’arrêter subitement au milieu de la course la plus rapide. Ce mouvement brusque ne peut s’opérer sans que tout le poids de l’animal ne porte instantanément sur ses jambes de derrière, et ne les affaiblisse promptement ; aussi est-ce toujours par là que pèchent les chevaux de Buenos-Ayres.

Chaque estanciero, afin de reconnaître les animaux qui lui appartiennent, a sa marque particulière qu’il est obligé de faire enregistrer à la police. Un vaste tableau, exposé publiquement dans une des salles de cet établissement, offre toutes celles de la province, et chacun peut, à toute heure, en prendre connaissance. Cette marque s’imprime au moyen d’un fer chaud sur la cuisse des animaux. Quand un propriétaire en vend un, il place une seconde empreinte à côté de la première, et l’acheteur y ajoute la sienne. La place manquerait bientôt si le bétail changeait souvent de maître ; mais comme on ne le laisse pas vivre long-temps, il passe rarement dans un grand nombre de mains. Tout individu a le droit de saisir, sans autre formalité, l’animal qui porte sa marque, partout où il le rencontre ; le détenteur, même de bonne foi, s’exposerait à de graves désagrémens en faisant la plus légère résistance. La police exerce aussi une surveillance très active sur les cuirs qu’on apporte à la ville ; la marque permet toujours de reconnaître leur maître primitif, et tout individu suspect est tenu de faire connaître, lorsqu’ils ne portent pas la sienne, de qui proviennent ceux qu’il veut vendre. Cette loi est une de celles qui s’exécute avec le plus de rigueur, l’intérêt personnel de chacun y trouvant son compte, et l’existence du pays reposant, pour ainsi dire, sur son observation. Cela n’empêche pas néanmoins que les vols de bétail ne soient assez fréquens, le gaucho qui rencontre un animal isolé se faisant rarement scrupule de s’en emparer, et de le tuer pour effacer la trace de son délit.

  1. Sobriquet injurieux que les gauchos donnent aux Européens.