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BECERRILLO.

connaissant tous les détours des chemins, et étant d’ailleurs fort légers à la course, ils pouvaient se mettre en un instant hors de la portée des Espagnols, tandis qu’ils n’avaient pas l’espoir d’échapper aux poursuites du chien.

« Becerrillo a laissé dans l’île une race d’excellens chiens, et dont plusieurs ont marché sur ses traces[1] ; j’ai connu à la terre ferme un de ses fils, appelé Léoncico, qui appartenait à l’adelantade Vasco Nuñez de Balboa, et qui gagnait aussi la solde d’un bon homme de guerre et parfois même de deux. On payait cette solde à l’adelantade en or et en esclaves, et je puis assurer, comme en ayant moi-même été témoin, que le chien a gagné à son maître, tant en solde réglée qu’en parts de prises dans diverses expéditions, plus de 500 castillans d’or. Aussi était-ce un animal de rare mérite et qui faisait tout ce que j’ai dit de son père.

« Pour en revenir à notre Becerrillo, il fut tué dans une affaire contre les Caribes, affaire où sans lui le capitaine Arango périssait avec tout son monde. Notre brave chien avait réussi, non sans peine, à dégager la petite troupe d’Espagnols, et déjà il se lançait à la poursuite des fuyards, lorsqu’au passage d’une rivière il fut atteint d’une flèche empoisonnée qu’on lui lança de l’autre bord. Il mourut presque sur le coup.

« Cette malheureuse affaire coûta la vie à plusieurs chrétiens,

  1. Il existe encore des descendans de Becerrillo dans l’île de Cuba, île qui, bien que découverte avant celle de Porto-Rico, ne fut soumise qu’un peu plus tard. Deux de ces chiens se voient aujourd’hui à Londres dans le jardin de la Société zoologique. Ils ont, comme leur célèbre aïeul, le museau noir de jais et le reste de la robe d’un beau roux foncé. Pour la forme générale du corps, ils ressemblent au dogue anglais, canis familiaris anglicus. Leur tête est courte et rappelle assez celle du boule-dogue, sauf par le front, qui est plus élevé et indique plus d’intelligence ; ils ont les narines partagées par un sillon profond, disposition qui leur est commune avec plusieurs races, chez lesquelles le sens de l’odorat est très développé. Les autres caractères distinctifs sont des oreilles tombantes et qui ne se redressent jamais, des lèvres pendantes recouvrant la mâchoire inférieure, une queue de longueur moyenne, grêle et recourbée en haut, un poil court et bien couché ; enfin un cinquième doigt, plus ou moins développé, au pied de derrière.