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ment une vigoureuse coupe pour arriver à terre dont nous n’étions guère qu’à une cinquantaine de pieds. Le capitaine fut averti, la machine arrêtée, et en quelques minutes un canot le ramena à bord, en dépit de la croyance populaire dans le pays : que quiconque tombe dans le Mississipi est un homme perdu. Sans moi, le malheureux steward serait resté abandonné dans ces forêts, où il serait probablement mort de faim, car il lui aurait été à peu près impossible de faire entendre ses cris aux steamboats qui nous auraient suivis.

Après avoir passé la Rivière Blanche et celle de Saint-François, nous arrivâmes, le 2 juin au matin, au confluent du Mississipi et de l’Ohio (anciennement nommé la Belle Rivière par les Français), entre les trois états de Missouri à gauche, de l’Illinois en face et du Kentucky à droite. La différence des eaux des deux rivières est bien marquée. La première est jaune et fangeuse ; l’Ohio, au contraire, bleu et limpide, repousse long-temps la boue de son voisin, et garde seul la rive gauche en descendant, jusqu’à une distance considérable. Nous le laissâmes à notre droite en continuant de remonter le Mississipi. On rencontre alors plusieurs anciens établissemens français ; et des rochers élevés rendent les bords du fleuve très pittoresque. Le cap Girardeau et Sainte-Geneviève, située en face de la rivière Kaskaskia, sont les moins abandonnés de nos villages. Fondé en 1760, ce dernier est le principal entrepôt des mines de plomb qu’on exploite dans les environs. Les Français de Saint-Louis l’appellent Misère.

Il y avait sur le rivage beaucoup d’Indiens ou de sauvages, comme les appellent les Français de l’ouest, quand nous abordâmes à Sainte-Geneviève. Les Indiens avaient des châles pour coiffures, les joues peintes en vermillon, des anneaux pendant aux narines et aux oreilles, et une couverture pour vêtement autour du corps. Presque tous étaient armés de fusils, et parlaient passablement français. Ils nous conduisirent chez un vieillard, né en France, dont la maison est le rendez-vous de tous les Indiens. Un compatriote encore plus vieux que lui vint lui faire visite pendant que nous y étions, et fut ravi de nous voir. Il nous raconta en détail sa vie de marin, ses combats contre les Maroquins, et sa captivité chez ces Barbaresques. Les Indiens, de leur côté, nous parlaient de chas-