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VOYAGE SUR LE MISSISSIPI.

Mount Vernon allait partir ; les pistons commençaient à jouer, nous sautâmes à bord, et bientôt, derrière nous, les hautes forêts de l’Alabama s’enfoncèrent dans les eaux. Les lacs Borgne et Pontchartrain, que nous traversâmes aussi, offrent, avec leur immense étendue d’eau sale et les épais nuages qui les couvrent sans cesse, l’aspect le plus triste qu’on puisse imaginer ; les pélicans seuls semblent s’y complaire. Vers midi, le bateau à vapeur s’arrêta à six milles de la Nouvelle-Orléans, à l’entrée d’un canal que nous remontâmes dans un bateau tiré par un cheval, et une heure après nous entrions dans la ville[1]. Les alligators, qui se chauffaient au soleil le long de ce bayou, n’étaient nullement effrayés, et plongeaient tranquillement dans l’eau à notre approche.

La Nouvelle-Orléans est la ville des États-Unis qui ressemble le plus à une ville d’Europe ; ses rues conservent encore leurs noms français, rue de Bourgogne, rue de Chatres, etc. Malheureusement j’y arrivai dans une mauvaise saison ; la chaleur y était déjà forte ; le thermomètre marquait à l’ombre 30° R., et beaucoup d’habitans étaient remontés au nord, chassés par la crainte de la fièvre jaune, que les créoles bénissent, précisément parce qu’elle met en fuite les Yankees[2]. La ville était triste et déserte ; il n’y avait plus ni spectacles, ni réunions, car ce sont surtout ces Yankees qui lui impriment le mouvement et la vie. En hiver, il n’y a guère de fêtes et de bals que ceux qu’ils donnent ; mais l’été, l’approche de la fièvre jaune, qui n’épargne que les indigènes, les oblige de quitter la place. L’épidémie ne s’était cependant encore déclarée nulle part. — Je ne restai à la Nouvelle-Orléans que douze jours, qui m’auraient paru bien longs encore, si je n’avais eu le bonheur d’y rencontrer plusieurs personnes que j’avais connues dans le nord. La chaleur y devint si étouffante, que je me décidai à partir. Je retins mon passage sur un des steamers, ou bâtimens à vapeur, qui remontent

  1. Un chemin de fer conduit maintenant du lac à la Nouvelle-Orléans, et remplace avantageusement le canal.
  2. On sait qu’on appelle Yankees les Américains des quatre états de l’est, le Massachusset, New-Hampshire, Rhode-Island et le Connecticut. Les Louisianais sympathisent peu avec ces Yankees, qui promènent leur vie d’aventures sur tous les points de l’Union.