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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

pression de la pensée ou de la fantaisie. L’Europe aura toujours plusieurs langues et plusieurs littératures.

Ainsi Bertram n’est pas plus contagieux pour la France que Schiller ne peut l’être pour l’Angleterre.

Mais au moment où, depuis un siècle bientôt, la patrie de Shakespeare appelle vainement la renaissance de son théâtre, il était digne d’un public lettré, n’en déplaise au goût chatouilleux de M. Pichot, d’envisager hautement une tentative comme Bertram. La régénération dramatique n’est réservée ni à Milman, ni à Knowles, ni à Joanna Baillie : il est fâcheux que Manuel et Fredolfo n’aient pas répondu au début de Maturin.

On a rapproché de Marlowe, de Goethe et de Byron, Melmoth, qui, en effet, touche par plusieurs côtés aux créations de ces trois poètes ; dans Melmoth, comme dans les deux Faust, comme dans Manfred, le génie du mal joue un grand rôle. Mais entre toutes les œuvres de la littérature moderne, je n’en sais pas qui ait avec Melmoth une aussi prochaine parenté que l’Élixir du Diable d’Hoffmann, qu’un traducteur ignorant a mis, je ne sais pourquoi, sur le compte de Spindler. Dans les deux récits, il y a la même puissance d’évocation ; car je ne puis mieux caractériser la physionomie poétique de ces deux romans qu’en les comparant à des opérations cabalistiques. Paracelse et Raymon Lulle, dans leurs études mystérieuses, n’ont jamais éprouvé de plus vives terreurs que les lecteurs de Melmoth et de l’Élixir du Diable.

Pourtant ici encore la diversité des nations a produit la diversité des poésies ; et puis, quelle différence dans les deux biographies ! quel immense intervalle entre le joyeux buveur des tavernes de Berlin et le ministre de Dublin, entre le conteur à moitié ivre, qui fut tour à tour juge, directeur de spectacle et chef d’orchestre, qui voulut rivaliser avec Fidelio après avoir lutté avec les caricatures de Callot, et le mari pauvre et paisible d’Henriette Kingsburg !

Il y a dans les premiers chapitres de Melmoth une peinture admirablement vraie de la mort d’un avare, et qui prépare le lecteur aux effrayans épisodes qui vont suivre. Quoique, à parler nettement, il n’y ait pas d’exposition dans ce poème surnaturel, cependant la mort du vieil oncle ouvre bien le premier acte du drame.