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DU VANDALISME EN FRANCE.

ham. Au bout de ce vestibule s’élève aujourd’hui une façade, dessinée par M. Poitevin (qui a été destitué par l’administration éclairée de nos jours), et exécutée par son successeur, M. Lasmolle. Cette façade a le mérite d’avoir été conçue de manière à se rapporter au caractère général de l’édifice, et la partie inférieure répond assez bien à ce dessein. Mais en élevant tout-à-fait inutilement la partie supérieure, décorée d’une balustrade beaucoup trop lourde, on ôte au spectateur la vue d’un ordre entier de l’admirable clocher. On m’a même assuré qu’il y avait sur ce même clocher d’excellens bas-reliefs, aujourd’hui recouverts par le prolongement du toit en ardoises et complétement inaccessibles. Puis on a surchargé cette nouvelle façade de statues absurdes, exécutées par un artiste espagnol ; il y en a quatre colossales, deux évêques, qui ont coûté 10,000 francs chaque, et deux évangélistes, à 5,200 francs la pièce, tous les quatre détestables en tous points. Voilà de compte fait 30,400 francs d’inutilement dépensés sur les 45,000 qu’a coûtés la façade entière. Je ne dis rien d’un bas-relief qui est encore pire que les statues, et qui a dû coûter proportionnellement. Ces calculs montrent que ce sont bien moins les ressources matérielles qui manquent à la restauration de nos vieux monumens, que l’intelligence de leur caractère et l’instinct des convenances.

Je reprocherai ensuite à M. Lasmolle de n’avoir pas employé dans sa nouvelle façade le portail qui terminait auparavant le vestibule dont j’ai parlé ; portail double, sans arc, divisé par un pilier qui supportait une statue de saint Seurin, et surmonté d’une charmante corniche avec modillons à ogive en ressaut. Ce portail se trouve aujourd’hui dans le jardin de M. Coudère, imprimeur.

M. Lasmolle a encore fort bien restauré, en 1828, la façade de la petite église de Saint-Éloi, pour laquelle il a choisi l’ogive surbaissée et ornée, copiée avec esprit des monumens de la fin du quinzième siècle. Je ne sais si c’est lui qui a restauré le porche occidental de Sainte-Eulalie, également en harmonie avec le gothique du corps de l’église, sauf les deux contreforts qui sont lourds et disproportionnés. L’intérieur de Sainte-Eulalie offre des sculptures remarquables dans les clefs de voûte du chœur, mais elle est honteusement défigurée par des peintures et des dorures ridicules.

Dans l’église du Collège, remarquable par la hardiesse de sa voûte à arcs doubleaux en ogive, on voit le tombeau de Montaigne et sa statue, beau morceau de la statuaire du seizième siècle. Il est couché tout de son long, les mains jointes et le corps tout bardé de fer, à la manière des anciens chevaliers. Cela paraît d’abord en contradiction avec son caractère, tel qu’on se le figure généralement ; mais on se rappelle bientôt l’époque guerrière où il vivait, et la piété qu’il déploya sur son lit de mort.