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DU VANDALISME EN FRANCE.

maître-autel, des portes entre-baillées, ingénieusement placées dans des arches à ogives, des abat-jours en vitres simulées ; enfin, toutes les fadaises possibles, tout cela en style d’enseigne de cabaret, dans des dimensions colossales, et remplissant les trois ronds-points qui occupent le fond de l’église, de manière à frapper immédiatement les regards de celui qui descend les marches par où l’on entre.

Au fond d’une poudreuse chapelle, la première du bas-côté à gauche, derrière la cuve baptismale, revêtue elle-même d’une sculpture très curieuse qui représente la Cène dans une salle gothique, j’ai distingué une planche peinte, mais recouverte d’une épaisse poussière. Après l’avoir fait légèrement éponger, j’ai reconnu que c’était un tableau sur bois à l’italienne, d’une école tout-à-fait primitive, entouré d’une inscription en caractères gothiques, indéchiffrables pour moi ; on y voit une Pietà, ou la sainte Vierge portant le corps de Notre-Seigneur sur ses genoux, et des deux côtés, dans des compartimens séparés, sainte Barbe, saint Dominique, saint Sébastien, saint André, sainte Catherine ; tous ces personnages m’ont paru être d’un caractère aussi naïf qu’original. Il est déplorable que jusqu’à présent ni l’autorité ecclésiastique, ni aucun amateur de l’art ancien, n’ait songé à placer dans un lieu convenable cette peinture que son antiquité seule suffirait pour rendre intéressante.

Après Sainte-Croix, l’église la plus ancienne de Bordeaux est celle de Saint-Seurin, qui fut la cathédrale avant Saint-André. L’intérieur, d’un gothique très ancien, est encore sombre et beau, malgré la dégradation des colonnes de la nef, en 1700, et un badigeonnage général en 1822. Sur le mur latéral de droite, on voit dans le tympan d’une porte à ogive, aujourd’hui murée, un bas-relief du plus haut intérêt, qui représente un pape disant la messe ; un cardinal, dont la tête est merveilleusement belle, l’assiste ; Jésus-Christ, entre deux anges, plane sur l’autel. Cette sculpture inappréciable remonte au quatorzième siècle, et se rapporte probablement à Bertrand de Goth, archevêque de Bordeaux, qui devint pape, sous le nom de Clément v, en 1305. Vis-à-vis, sur le mur latéral de gauche, dans un tympan semblable, se trouve un autre bas-relief de la même époque qui représente Notre-Seigneur au milieu des douze apôtres.

En entrant dans le sanctuaire, on retrouve l’empire du vandalisme : j’ai déjà parlé du trône épiscopal dont le conseil de fabrique avait voté la destruction, et que le curé a défendu, avec succès ; mais il n’a pu le préserver d’un blanchissage funeste. Les trois croisées romanes, qui occupent, par une disposition assez rare, le fond du chœur qui n’est pas arrondi, croisées à triples arcades avec enroulemens très ornés, ont été peintes en brun. Un malheur pareil a frappé les élégantes boiseries des stalles du chapitre, de