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DU VANDALISME EN FRANCE.

Mais à peine l’œil s’est-il détourné de ce spectacle consolateur, qu’il rencontre un monument victime d’un exécrable vandalisme. C’est la tour dite de Peyberland, élevée à la fin du quinzième siècle, par Pierre Berland, fils d’un pauvre laboureur du Médoc, qui devint, à force de piété et de savoir, archevêque de Bordeaux en 1430. Cette magnifique pyramide, qui avait autrefois, avec sa flèche, trois cents pieds de haut, avait été, dit-on, construite avec un zèle patriotique par l’architecte que l’archevêque avait chargé d’exécuter son projet, et qui était stimulé par le désir d’élever un monument français capable de lutter avec les flèches de Saint-André, ouvrage des architectes anglais. Aussi réussit-il si bien, que le chapitre métropolitain lui vota en guise de récompense un habit d’honneur qui fut acheté dix francs. Les terroristes avaient condamné à périr cette œuvre si pieuse, si touchante, si nationale ; mais leur fureur fut impuissante : on ne put faire tomber que la flèche, la tour résista à tous les efforts, et l’on fut obligé de résilier le bail qui avait été passé avec un destructeur. Elle est donc encore debout, mais déshonorée et dévastée. Toutes les ouvertures ont été bouchées depuis le haut jusqu’en bas, tous les ornemens, les riches et innombrables fantaisies de l’artiste ont été arrachées, il n’en reste que ce qu’il faut pour convaincre que le quinzième siècle avait rarement produit une œuvre où se fût mieux développé le luxe inépuisable de son imagination. Elle sert maintenant, cette pauvre tour, comme celles de Saint-Jacques la Boucherie à Paris et de Saint-Martin à Tours, elle sert à fabriquer du plomb de chasse. C’est ainsi que l’on trouve moyen, en ce siècle éclairé et progressif, d’utiliser ces cristallisations de la pensée humaine lancée vers Dieu, ces inflexibles doigts levés pour montrer le ciel[1].

L’église de Saint-Michel a aussi un clocher séparé de l’édifice principal et de la même époque, du même genre de beauté que la tour de Peyberland ; ce clocher était surmonté d’une flèche, construite en 1480, et que l’on vantait comme la plus belle du midi ; elle s’écroula en 1768, et aujourd’hui la tour ne sert plus que de télégraphe. Le projet de rétablissement, conçu et présenté par M. Combes, a été soigneusement repoussé par l’administration. L’extérieur de cette église de Saint-Michel est du gothique le plus riche ; la façade du nord est admirable, mais indignement obstruée par la maison curiale. C’est à peine si on peut voir le portail central et les bas-reliefs qui la surmontent. Ces bas-reliefs sont du seizième siècle, un peu trop maniérés, mais très remarquables : ils sont doubles, c’est-à-dire qu’il y en a quatre adossés l’un à l’autre, dont deux font face à l’extérieur et deux à l’intérieur de l’église. Ceux du dehors représentent le sacrifice d’Isaac et

  1. Wordsworth.