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DU VANDALISME EN FRANCE.

ges qui présentent les âmes à Notre-Seigneur, et les morts qui brisent leurs tombeaux, sont surtout étonnans de hardiesse et d’expression. Tout ceci, grâce au ciel, a échappé tant bien que mal, ainsi que la nef, qui, par une exception presque miraculeuse, laisse voir les joints de ses vieilles pierres. Mais on s’est dédommagé dans les bas-côtés : ils ont été peints en blanc jaune à l’intérieur, et en gris bleu au dehors : de plus, dans chacune des chapelles, on a peint deux cassolettes, comme on en voit sur les enseignes des parfumeurs qui vendent l’eau des odalisques, à cela près qu’elles sont de grandeur colossale, et qu’il s’en échappe le long du mur des torrens de flamme du plus bel écarlate et une fumée proportionnelle. Vous concevez l’effet que cela produit au fond d’une sombre chapelle à ogive et à fenêtre en trèfle.

Je pourrais encore nommer comme victimes de semblables dévastations les églises de Langon, Angoulême, Bergerac, et sur les bords de la Loire, Saint-Pierre de Saumur, le charmant oratoire de Louis xi à Lentilly ; enfin, à Candes, la belle église bâtie sur le lieu où mourut saint Martin, et où se passa, au sujet de ses reliques, la célèbre dispute des Poitevins et des Tourangeaux, dont saint Grégoire de Tours nous a conservé le touchant et poétique récit. Louis xiv en commença la maladroite restauration, qui a été complétée dernièrement par un replâtrage général.

Mais je n’ai été nulle part plus indigné que dans un bourg du Périgord, nommé Beaumont, où j’avais été attiré par la célébrité dont jouit, dans les histoires du pays, son église, bâtie par les Anglais en 1272. J’y ai été témoin d’un vandalisme sans pareil. L’extérieur, crénelé comme une forteresse, ce qui se retrouve dans beaucoup d’églises de ces contrées, et la façade, avec une galerie à balustrade en ogive tréflée, et une corniche qui représente les signes du zodiaque, ont été épargnés ; mais à l’intérieur, quelle ruine ! La voûte en pierre avait eu besoin de quelque réparation, un travail facile y aurait remédié de l’avis même du plâtrier chargé de sa démolition ; mais, par sentence de M. l’ingénieur des ponts-et-chaussées de l’arrondissement, la voûte entière avait été abattue, et ses élégantes ogives remplacées par une sorte de toit bombé en bois blanchi. Les clefs de l’ancienne voûte étaient des morceaux d’excellente sculpture, composés d’un sujet en ronde bosse sur un plan circulaire et parallèle à la voûte, à laquelle le rattachaient quatre têtes de saints et d’évêques. Le susdit plâtrier avait eu le bon esprit de copier ces sculptures sur les clefs de sa voûte en bois, mais savez-vous où j’ai trouvé les originaux ? jetés hors de l’église qu’ils avaient ornés pendant tant de siècles, ramassés en tas, confondus avec les débris de pierre provenant de la destruction, et destinés comme eux à être vendus pour faire des cartelages, car c’est ainsi qu’on