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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

et de l’armée croisée. Pourtant, il faut bien le dire, un jour la postérité placera Melmoth et Bertram entre Faust et Manfred.

Melmoth et Bertram, tels sont en effet les deux titres qui consacrent littérairement le génie de Maturin. C’est dans ce roman et dans cette tragédie que nous devons chercher le secret et la portée de ses inspirations. C’est là qu’il a déposé les plus riches trésors de sa fantaisie ; Bertram et Melmoth résument toute sa pensée. Ses autres ouvrages ne seront connus dans cinquante ans que des bibliographes érudits. Mais un drame, sur trois, et un roman, sur six, graveront le nom de Maturin dans l’histoire de la poésie anglaise. MM. Taylor et Nodier ont donné, il y a quelques années, une traduction élégante, mais incomplète de Bertram. L’ingénieux auteur de Trilby a fait précéder ce travail de considérations remarquables par leur tolérance. Mais, quoiqu’il m’en coûte de contredire un nom comme celui de Nodier, je ne puis pas me ranger à son avis, ne lui pardonne pas plus d’avoir émondé le luxe irlandais de Bertram que je ne pardonne à John Dryden d’avoir modernisé pour les beaux-esprits de son temps, les contes joyeux et satiriques de Geoffrey Chaucer. Ce n’était pas sage au Juvénal anglais, à l’auteur de l’Annus mirabilis, de refaire, pour les roués de la restauration, les peintures naïves, composées pour la cour de Richard ii ; il n’est pas juste à l’auteur de Thérèse Aubert de corriger, même habilement, le désordre poétique de Maturin.

Coleridge, qui a critiqué sévèrement, mais avec une grande justesse de goût, la fable et le style de Bertram, regrette à ce propos l’importation de la métaphysique germanique dans la littérature anglaise. Il reproche à Sheridan d’avoir traduit le Pizarre de Kotzebue. Je suis volontiers de son avis, mais pour une raison différente, c’est que la pièce de Kotzebue est médiocre. Il retrouve dans les Brigands de Schiller l’idée mère de Bertram. Tout en reconnaissant quelques analogies de pensée, entre ces deux ouvrages, je préfère la tragédie anglaise au drame allemand, précisément parce que la métaphysique explicite y est plus rare, plus adroitement déguisée, parce qu’il y a dans Bertram plus de terreur et moins de déclamations. S’il est vrai que Schiller se soit repenti, vers la fin de sa vie, d’avoir écrit les Brigands, il a bien fait ; car cette pièce, malgré sa popularité épidémique, n’a pas de valeur poétique, et se