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sultant de l’effet de perspective que devait produire la construction du vaisseau qui va en se rétrécissant depuis le portail jusqu’au rond-point, tandis que la voûte s’abaisse successivement dans la même direction. À la révolution, cet effet fut détruit par un mur de refend, bâti en travers du chœur. L’abside tout entière est échue en partage à M. Dupuy de Saumur, qui l’a transformée en grange remplie de fagots, après avoir défoncé les vitraux des croisées. Nul ne peut y entrer, et il ne veut pour rien au monde restituer cette inappréciable moitié de l’église à son usage primitif, ni même la vendre.

Ce qui dépasse tout ce que j’ai vu de barbarie en ce genre, c’est le spectacle dont j’ai été témoin à Cadouïn, en Périgord, lieu où se trouvent enfouis dans un désert des chefs-d’œuvre de peinture, de sculpture et d’architecture. Cadouïn est un ancien monastère de Bernardins, fondé, dit-on, par saint Bernard lui-même. Il en reste une église et un cloître. Je veux, en passant, vous parler de l’église. Elle est d’abord très remarquable par son architecture, qui est tout en plein cintre, avec la corniche en damier qui se retrouve dans tant d’églises du midi. La voûte seule est en ogive très primitive. La façade est originale : elle offre un couronnement semi-hexagonal, soutenu par une colonnade de neuf arcs en plein cintre d’une grande élégance. C’est un type tout-à-fait méridional, de même que la petite coupole qui s’élève au-dessus du transept. Le chœur est parfait, et les enroulemens en feuillages des cinq croisées qui l’éclairent, d’une grande délicatesse, malgré le badigeon qui les recouvre. À la voûte de ce chœur se trouve la peinture la plus remarquable du moyen âge que j’aie rencontrée en France : c’est une fresque qui représente la résurrection de Notre-Seigneur. Au premier regard que je jetai sur cette voûte, mes yeux, déshabitués depuis long-temps de jouissances pareilles, crurent retrouver leurs anciennes amours des écoles toscane et ombrienne, antérieures à Raphaël. Le Christ, tenant à la main le gonfalon de la croix, met le pied hors du tombeau ; deux soldats endormis gisent de chaque côté ; deux anges, en longues tuniques, soutenus dans l’air par leurs ailes déployées, encensent, avec des encensoirs d’or, le vainqueur du péché et de la mort : un paysage simple et gracieux dans le fond, avec un ciel d’azur foncé, parsemé de grandes fleurs-de-lis d’or en guise d’étoiles. En Italie, cette fresque, qui rivaliserait avec quelques-unes des plus célèbres que j’aie vues, serait à peu près de la fin du quinzième siècle. Je ne connais pas assez l’histoire de l’art en France pour en conjecturer la date même approximative ; et, dans le pays, on n’a pu me fournir aucun renseignement ni sur son époque, ni sur son auteur. Rien ne saurait surpasser la majestueuse placidité du Christ, le naturel de la pose des soldats endor-