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DU VANDALISME EN FRANCE.

sard eut le bon goût de conserver le clocher à ogive triangulaire, lorsqu’il reconstruisit la nef dans le goût du dix-septième siècle. Mais ce pauvre clocher n’a pu échapper à un badigeonneur officiel, intitulé architecte du département, lequel est venu tout exprès de la préfecture pour le peindre en rose.

Quand ces autorités usent de leurs droits en déléguant des fonctions importantes pour l’art et les monumens historiques, elles déploient d’ordinaire autant de discernement que lorsqu’elles mettent elles-mêmes la main à l’œuvre. Je n’en veux citer qu’un exemple : on a nommé, il y a quelques années, à Amiens, un bibliothécaire, dont toute la vie précédente avait été complètement étrangère à ce genre d’étude, et qui, trouvant que les manuscrits in-folio que renfermait sa bibliothèque ne pouvaient pas entrer dans les rayons des casiers, crut que le meilleur parti était de les réduire en les rognant à la hauteur nécessaire. Il est très flatteur pour la France éclairée et régénérée d’avoir donné ainsi une seconde édition du trait de ces cosaques, qui, lors du transport de la bibliothèque de Varsovie ou de Vilna à Pétersbourg, scièrent par le milieu les livres qui étaient trop gros pour entrer dans leurs caisses.

Puisque j’en suis aux bibliothèques, je ne puis passer sous silence l’idée lumineuse de ce conseiller municipal de Châlons-sur-Saône, qui, pour contribuer de son mieux à la diffusion des lumières et de l’instruction publique, proposa gravement de consacrer à la reliure des livres d’école les parchemins des missels et autres manuscrits de la bibliothèque de la ville.

Après avoir vu de si beaux exploits dans sa patrie, un Français a la consolation de lire dans les journaux anglais que la corporation ou conseil municipal de Chester dépense tous les ans des sommes considérables pour maintenir dans un état de réparation complète les vieilles murailles de cette ville, et qu’à York une assemblée populaire (country meeting) a décidé que le célèbre château de ce nom, qui menaçait ruine, serait reconstruit exactement sur le même plan et dans le même genre.

Passons à la troisième catégorie :

3o Les propriétaires.

Je ne prétends pas assurément que les ravages exercés par les propriétaires soient aussi déplorables et même aussi nombreux que ceux qui peuvent être portés au compte du gouvernement et des autorités locales ; il y a une bonne raison pour cela. C’est que les propriétaires ont rarement à leur disposition des monumens assez importans pour que la dispa-