Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/496

Cette page a été validée par deux contributeurs.
490
REVUE DES DEUX MONDES.

bien ! on les a masquées, plâtrées, abîmées par un amas de pierres blanchies en forme de caserne que l’on a jugé nécessaire à l’exécution du plan qui a transformé ce monument en prison. Pour me servir de l’expression des gens du pays, on a affublé ces vieilles tours d’un bonnet de coton.

Il faut encore nommer Eysse, célèbre abbaye, près Villeneuve d’Agen, qui est aussi transformée en maison centrale de détention, ce qui a motivé la destruction de deux églises, l’une, celle des religieux, célèbre par sa beauté, l’autre, celle de la paroisse même, qui avait le malheur de se trouver sur la limite des nouvelles constructions. Il paraît que de tout temps le vandalisme a été du goût des gouvernemens. Je lisais dernièrement dans une vieille histoire du Cambresis par Le Carpentier (Leyde 1664, p. 158), que Charles-Quint fit détruire à Cambrai la magnifique église collégiale de Saint-Géry, pour en consacrer les matériaux à la construction d’une citadelle, dont il se servit ensuite pour ôter à la ville ses droits et privilèges. On est fidèle aux bonnes habitudes.

En voilà assez sur les exploits du gouvernement, en fait de beaux-arts. Nous n’en avons pas moins entendu de plaisans députés demander gravement et obtenir un supplément de plusieurs millions à la liste civile, pour mettre la royauté en état de protéger les arts. Pauvres arts ! il ne leur manquait plus, comme à la religion, que cette dernière dégradation, la protection royale au dix-neuvième siècle.

C’est du reste une chimère bien invétérée, mais bien inconcevable que cette nécessité de la protection du pouvoir pour l’art. Les artistes eux-mêmes n’ont été souvent que trop enclins à mêler leurs voix et leurs souhaits aux glapissemens des suppôts de la liste civile. Ils ont trop souvent oublié que, pour être fidèle à la sainteté de sa mission, l’artiste comme le prêtre ne doit être que l’homme de Dieu et du peuple. En France surtout, les grands noms de François Ier, de Louis xiv, ont établi une sorte de foi traditionnelle dans l’influence tutélaire du pouvoir. Et cependant n’y a-t-il pas entre les ébats courtisanesques de l’art sous ces monarques, et sa gigantesque popularité au moyen âge, tout l’intervalle qui sépare la chapelle de Versailles de Notre-Dame ? En Italie, en Allemagne, n’est-ce pas la même différence ? Je ne sais quelle popularité de commande s’est attachée au nom des Médicis dans la superficielle et menteuse histoire telle que nous l’a léguée le dix-huitième siècle ; on dirait que l’art a contracté une dette sacrée envers cette race de marchands couronnés et oppresseurs. Mais qu’on aille donc à Florence ; qu’on fasse deux parts des monumens de cette ville ; que l’on prenne pour point de séparation le jour où Laurent de Médicis, haletant sur son lit de mort, tourne le dos à Savonarole qui lui offre l’absolution à condition que, par une parole suprême, il rende la liberté à