Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/492

Cette page a été validée par deux contributeurs.
486
REVUE DES DEUX MONDES.

prendre chaque petit garçon de France pour le jeter dans ces antres qu’il nomme collèges, lui qui, vil bedeau, s’en vient écouter aux portes de tous les presbytères et fouiller dans les armoires de toutes les sacristies[1], lui qui tient la main à tous les tripots, à tous les égouts ; comment ! il n’aurait pas le temps de veiller aussi un peu aux monumens qui font la gloire et l’ornement du pays ! et dans sa vaste sollicitude il ne daignerait pas embrasser cette fortune de la France et de l’art dont les déficits vont toujours croissant ! et nous n’aurions pas au moins la triste consolation de pouvoir le maudire pour le mal dont il est complice autant que pour celui dont il est l’auteur effronté !

Et remarquez bien, mon ami, que je parle ici du pouvoir en général et non d’aucun pouvoir en particulier Il ne change malheureusement pas de nature en changeant d’usufruitiers. Quant à l’ignoble et cupide vandalisme qui nous régit aujourd’hui, il me semble que vous en avez fait votre domaine, et qu’il y aurait de la témérité à marcher sur vos traces. Je vous le laisse donc à flétrir. N’oubliez seulement pas, je vous en supplie, la mémorable mise à l’encan des tours de Bourbon l’Archambault, mesure dont la clameur de haro du public a fait justice, mesure qui ne fut pas adoptée par mégarde, comme on l’a dit, mais bien, s’il faut en croire une autorité honorable et sûre, par calcul et pour allécher quelque fanatique de royalisme.

Le pouvoir d’aujourd’hui a donc renchéri sur ses prédécesseurs, qui, du reste, l’ont dignement précédé dans la carrière. Les ravages que je vais vous dévoiler doivent principalement leur être imputés. Figurez-vous Fontevrault, la célèbre, la royale, l’historique abbaye de Fontevrault, dont le nom se trouve presque à chaque page de nos chroniques des onzième et douzième siècles ; Fontevrault, qui a eu quatorze princesses de sang royal pour abbesses, et où ont été dormir tant de générations de rois, qu’on lui a donné le nom de Cimetière des Rois ; Fontevrault, merveille d’architecture avec ses cinq églises, et ses cloîtres à perte de vue, aujourd’hui flétrie du nom de maison centrale de détention. Et si l’on s’était encore borné à lui assigner cette misérable destination ! Mais ce n’est pas tout ; pour la rendre digne de son sort nouveau, on a tout détruit ; ses cloîtres ont été bloqués, ses immenses dortoirs, ses réfectoires, ses parloirs, rendus méconnaissables ; ses cinq églises détruites ; la première et la principale, belle et haute comme une cathédrale, n’a pas même été respectée ; la nef entière a été divisée en trois ou quatre étages et métamorphosée en ateliers et en chambrées. On a bien voulu laisser le chœur à

  1. Voyez la fameuse circulaire du sous-préfet de Neufchâtel, M. Cocagne.