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humer dans le tombeau qu’il avait élevé à sa femme, celle-ci, selon la tradition populaire, se retira d’un côté pour lui faire place. C’est ce même tombeau qui a été détruit, et pas une voix ne s’est élevée pour le sauver. À Avignon, l’église de Sainte-Claire, où Pétrarque vit Laure pour la première fois, le vendredi saint de l’an 1328, l’église qu’il avait bénie dans ce sonnet fameux :


Benedetto sia ’l giorno, e’l mese, e l’anno
E la stagione, e’l tempo, el’hora, e’l punto,
E’l bel paëse, e’l loco, ov’ io fui giunto
Da duo begli occhi, che legato m’hanno
, etc. ;


cette église a péri avec cent autres : elle est transformée aujourd’hui en manufacture de garance. L’église des Cordeliers, où reposait la dépouille de cette belle et chaste Laure, à côté de celle du brave Crillon, a été rasée pour faire place à un atelier de teinture ; il n’en reste debout que quelques arceaux : la place même de ses cendres n’est marquée que par une ignoble colonne, élevée par les ordres d’un Anglais et décorée d’une inscription risible.

Les Goths eux-mêmes, les Ostrogoths n’en faisaient pas tant. L’histoire nous a conservé le mémorable décret de leur roi Théodoric, qui ordonne à ses sujets vainqueurs de respecter scrupuleusement tous les monumens civils et religieux de l’Italie conquise.

Ces faits que je viens de citer me rappellent que je dois vous faire connaître quelques-uns de ceux que j’ai recueillis pendant mes rapides courses dans le midi. J’en profiterai pour justifier une sorte de classification qu’il m’a semblé naturel d’établir, en cherchant à apprécier le caractère des ravages du vandalisme dans les provinces de France que j’ai parcourues. Je n’entends nullement la garantir pour les autres. J’y joindrai quelques détails spéciaux sur les monumens du moyen âge à Toulouse et à Bordeaux que j’ai eu l’occasion de voir plus complètement.

Tout le monde doit reconnaître que le vandalisme moderne se divise en deux espèces bien différentes dans leurs motifs, mais dont les résultats sont également désastreux. On peut les désigner sous le nom de vandalisme destructeur et de vandalisme restaurateur.

Chacun de ces vandalismes est exploité par différentes catégories de vandales, que je range dans l’ordre suivant, en assignant à chacune d’elles le rang que lui mérite son degré d’acharnement contre les vieilleries.