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LAURETTE.

qu’elle se couvre bien toujours. Enfin vous remplacerez son père, sa mère et moi autant que possible, n’est-il pas vrai ? — Si elle pouvait conserver les bagues que sa mère lui a données, cela me ferait bien plaisir. Mais si on a besoin de les vendre pour elle, il le faudra bien. — Ma pauvre Laurette, voyez comme elle est belle !

Comme ça commençait à devenir par trop tendre, cela m’ennuya et je me mis à froncer le sourcil ; je lui avais parlé d’un air gai pour ne pas m’affaiblir, mais je n’y tenais plus. Enfin, suffit, lui dis-je, entre braves gens on s’entend de reste. Allez lui parler et dépêchons-nous.

Je lui serrai la main en ami, et comme il ne quittait pas la mienne et me regardait avec un air singulier :

— Ah ! çà ! si j’ai un conseil à vous donner, ajoutai-je, c’est de ne pas lui parler de ça. Nous arrangerons la chose sans qu’elle s’y attende, ni vous non plus, soyez tranquille, ça me regarde.

— Ah ! dit-il, je ne savais pas. Cela vaut mieux en effet. D’ailleurs les adieux ! les adieux, cela affaiblit.

— Oui, oui, lui dis-je, ne soyez pas enfant, ça vaut mieux. Ne l’embrassez pas, mon ami, ne l’embrassez pas si vous pouvez, ou vous êtes perdu.

Je lui donnai encore une bonne poignée de main et je le laissai aller. Oh ! c’était dur pour moi tout cela.

Il me parut qu’il gardait, ma foi, bien le secret ; car ils se promenèrent bras dessus bras dessous pendant un quart d’heure, et ils revinrent au bord de l’eau reprendre la corde et la robe qu’un de mes mousses avait repêchée.

La nuit vint tout à coup. C’était le moment que j’avais résolu de prendre. Mais ce moment a duré pour moi jusqu’au jour où nous sommes, et je le traînerai toute ma vie comme un boulet.

Ici le vieux commandant fut forcé de s’arrêter. Je me gardai de parler de peur de détourner ses idées. Il reprit en se frappant la poitrine.

— Ce moment-là, je vous le dis, je ne peux pas encore le comprendre. Je sentis la colère me prendre aux cheveux et en même temps je ne sais quoi me faisait obéir et me poussait en avant. J’appelai les officiers et je leur dis :

— Allons ! un canot à la mer, puisqu’à présent nous sommes