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LAURETTE.

aiment, jetées au feu par ceux qui les haïssent ; ne servant à rien qu’à nous faire persécuter. Moi ! encore passe, mais toi, bel ange, devenue femme depuis quatre jours à peine. Qu’avais-tu fait ! Explique-moi, je te prie, comment je t’ai permis d’être bonne à ce point, de me suivre ici ! sais-tu seulement où tu es, pauvre petite ? et où tu vas, le sais-tu ? — Bientôt, mon enfant, vous serez à seize cents lieues de votre mère et de vos sœurs. Et pour moi, tout cela, pour moi !

Elle cacha sa tête un moment dans le hamac, et moi, d’en haut, je vis qu’elle pleurait, mais lui d’en bas ne voyait pas son visage, et quand elle le sortit de la toile, c’était en souriant déjà, pour lui donner de la gaîté.

— Au fait, nous ne sommes pas riches à présent, dit-elle en riant aux éclats ; tiens, regarde ma bourse, je n’ai plus qu’un louis tout seul. Et toi ?

Il se mit à rire aussi comme un enfant :

— Ma foi, moi, j’avais encore un écu, mais je l’ai donné au petit garçon qui a porté ta malle.

— Ah ! bah ! qu’est-ce que ça fait, dit-elle en faisant claquer ses petits doigts blancs, comme des castagnettes, on n’est jamais plus gai que lorsqu’on n’a rien, et n’ai-je pas en réserve les deux bagues de diamant que ma mère m’a données ? cela est bon partout et pour tout, n’est-ce pas ? Quand tu voudras, nous les vendrons. D’ailleurs, je crois que le bonhomme de capitaine ne dit pas toutes ses bonnes intentions pour nous, et qu’il sait bien ce qu’il y a dans la lettre. C’est sûrement une recommandation pour nous au gouverneur de Cayenne.

— Peut-être, dit-il, qui sait ?

— N’est-ce pas, reprit sa petite femme, tu es si bon, que je suis sûre que le gouvernement t’a exilé pour un peu de temps, mais ne t’en veut pas ?

Elle avait dit ça si bien en m’appelant le bonhomme de capitaine, que j’en fus tout remué et tout attendri, et je me réjouis même dans le cœur, de ce qu’elle avait peut-être deviné juste. Ils commençaient encore à s’embrasser, je frappai du pied vivement sur le pont, pour les faire finir.

Je leur criai.