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tiennent qu’à l’imagination. J’ignorais alors le monde, et ne pouvais le peindre. »

À coup sûr, un homme qui estime aussi nettement la valeur de ses premières œuvres, n’est pas un esprit vulgaire. Autant la fausse modestie est ridicule et banale, autant l’aveu public et sincère de ses défauts est digne d’éloges et de sympathie.

Ailleurs, dans la préface de Melmoth, en réponse aux récriminations soulevées par ses romans chez les gens du monde et les membres du haut clergé, il n’hésite pas à proclamer, sans bassesse comme sans vanterie, que si son ministère suffisait à soutenir sa famille, il s’abstiendrait d’écrire des ouvrages d’imagination. Il ne rougit pas de sa pauvreté ! Loin de là, convaincu que le travail, c’est-à-dire l’emploi persévérant des forces personnelles dont on peut disposer, n’est qu’une lutte honorable, et vaut mieux cent fois que l’adulation et le mensonge escomptés par de hautains protecteurs, il confesse qu’il ajoute ses poèmes à ses prières, parce qu’il n’a pas d’autre moyen de faire face aux difficultés de la vie.

Il y a dans ces deux fragmens une preuve éclatante de clairvoyance et de probité.

Maturin n’est guère connu en France comme un écrivain littéraire. Son livre le plus célèbre, Melmoth, bien que traduit deux fois, ne l’a pas encore été pour les lecteurs sérieux. L’un des deux traducteurs est une jeune femme, à qui le savoir et l’esprit ne manquent pas ; mais son travail, fait avec une excessive précipitation, est fort incomplet : un tiers au moins est supprimé. M. J. Cohen, ancien censeur royal, a été moins prodigue de mutilations ; mais il déclare lui-même qu’il a traduit librement, c’est-à-dire qu’il a passé à côté de l’original toutes les fois que les propriétés du style gênaient le galop de sa plume. Le Milésien, le Jeune Irlandais ont été plus heureux, et sont échus à l’esprit fin et délicat d’une femme du noble faubourg. Ces deux livres sont mieux et plus fidèlement rendus que Melmoth. Mais ils n’avaient pas en eux-mêmes le germe de la popularité. Les Femmes, Montorio et les Albigeois, traduits ou trahis, selon le proverbe italien, par des plumes anonymes, sont à-peu-près ignorés de ceux qui ne croient pas, avec Gray, que le paradis consiste dans un bon fauteuil et un roman pendant l’éternité.