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lumens de son vicariat la subsistance de sa famille. Comme Milton, qui fut maître d’école avant d’être le secrétaire du Protecteur, il ouvrit une classe, prit des pensionnaires, et cette nouvelle industrie, bien que peu lucrative, ne démentit pas ses espérances. Mais il eut l’imprudence de répondre pour les dettes d’un ami ; au jour de l’échéance, le débiteur prit la fuite, et souffrit lâchement qu’on menaçât de la prison ceux qui lui avaient servi de caution. Olivier Goldsmith avait pris gaîment une pareille aventure ; mais il n’était pas marié. Il n’avait pas, comme le dit quelque part François Bacon, donné des otages à la fortune. Le poète insouciant du Village abandonné était parti n’emportant avec lui que sa flûte pour défrayer en voyage son sommeil et son souper, et il avait pu continuer librement son aventureux pélerinage. Mais Robert Maturin avait une femme et des enfans. Il resta, comme il le devait, demanda conseil à la réflexion, et après avoir vendu son école pour acquitter une partie de la dette, il chercha dans sa plume de nouvelles ressources pécuniaires. Il publia successivement la Famille Montorio, le Jeune Irlandais et le Milésien, sans trop de gloire ni de profit ; car la plus avantageuse de ces trois publications, the Milesian, fut acquise en 1811 par M. Colburn pour la modique somme de 80 liv. sterl., 2,000 fr. de notre monnaie.

Dans les rares intervalles de ses leçons de grammaire anglaise et latine, il avait composé une tragédie, Bertram ; les succès récens de Shiel l’encouragèrent à présenter sa tragédie au théâtre de Dublin. Bertram fut refusé. Instruit que l’auteur de Marrmion avait parlé avec éloge de Montorio, il partit pour Londres où se trouvait alors l’illustre poète, et lui soumit le manuscrit de sa tragédie. Walter Scott le recommanda à lord Byron, qui était alors membre du comité de Drury-Lane, et en 1816 Bertram, refusé deux ans auparavant, en 1814, par le directeur de Dublin, fut joué devant un nombreux auditoire, et Kean, à qui était confié le principal rôle de la pièce, enleva les applaudissemens de toute la salle.

Le succès de Bertram semblait ouvrir à Maturin le chemin de la fortune ; à la demande de Kean, il écrivit Manuel et Fredolfo, qui furent damnés et qui le méritaient. La voix publique étant unanime, il dut renoncer au théâtre pour toujours, et il ne résista pas à l’avis de la critique.