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REVUE. — CHRONIQUE.

Deux grandes causes sont toujours en suspens, l’une aux portes de l’Asie, l’autre dans l’Amérique du nord. L’Égypte à main armée campe devant Constantinople ; la Caroline du sud lève ses milices contre le congrès. La discorde est ainsi au cœur du gouvernement despotique et du gouvernement libre par excellence. Mais la querelle de l’état libre se terminera, selon toute apparence, par arbitrage et avant rupture ouverte. Pour sauver la Turquie sous le coup du désastre, les puissances chrétiennes s’interposent : mais l’islamisme n’en réchappera pas ; soit qu’elle énerve et polisse Constantinople, soit qu’elle instruise et enhardisse Alexandrie, c’est toujours notre civilisation qui gagne et qui triomphe ; de son côté seul est l’avenir.

L’ouverture du parlement anglais a dès l’abord offert une solennité de débats qui écrase la petitesse de nos chambres. L’Irlande est désormais la question vitale pour l’Angleterre ; l’Irlande opprimée et martyrisée depuis des siècles, l’Irlande traitée en conquête, pressurée sans relâche par le Saxon, par le Normand, par Jacques Ier, par Cromwell, par Guillaume d’Orange ; l’Irlande, cette noble et sainte Pologne de l’Océan, inépuisable en douleur comme en espérance ; l’inextinguible Irlande, un moment voisine de l’émancipation à la fin du dernier siècle, se lève aujourd’hui en armes pour regagner ses droits, pour faire sa révolution étouffée en 98 ; elle ne connaît plus Guillaume iv, ni ses officiers, ni ses prélats, ni le parlement britannique ; elle n’obéit qu’à son O’Connell, qui chargé de plaider pour elle à Westminster, s’y montre moins à l’aise, il faut le dire, que sur la terre nationale, au milieu de son peuple. En effet la loi de l’histoire jusqu’ici est que de telles antipathies de races, de tels griefs amoncelés, ne se vident point à l’amiable devant la partie adverse, et par voie de consentement mutuel. L’Irlande le sait ; O’Connell ne s’en flatte guère ; mais il hésite encore : l’heure est-elle bien venue ?

En France le mouvement de la société et l’importance réelle des choses apparaissent de plus en plus en dehors des cadres constitutionnels qu’on a tracés si à l’étroit. Notre législature ne représente pas plus l’opinion vivante et active, que l’Académie française ne représente la littérature féconde. Qu’importe ? Le progrès se fait d’ailleurs ; la politique et l’art n’ont pas chômé depuis quinze jours ; trois mémorables événemens se sont succédés, un recueil de chansons de Béranger, l’affaire d’Armand Carrel, le drame de Victor Hugo.

Dans la prochaine livraison de la Revue, l’un de nos collaborateurs examinera à loisir et en détail cette production si profonde et si savante du chansonnier populaire ; mais, quant à l’effet politique, au sens social, il ressort de lui-même et se perçoit vivement. Ce petit volume est gros de