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primitif de son idée ; qu’ayant aperçu, dans sa conscience, la lutte possible de la corruption contre la pureté, la défaite momentanée de la vertu inhabile par le vice expérimenté, et, comme complément moral de ces douloureuses alternatives, le crime châtié par la main qu’il implorait, il devait demander au cœur, mais au cœur seulement, la lumière dont il voulait éclairer cette idée. Je pense que la méditation, poétiquement abandonnée à elle-même, au lieu d’emprunter, pour se révéler, les formes sévères et didactiques de la psychologie, devait trouver dans la complication des incidens de la vie intérieure, dans la création des caractères, dans la composition des physionomies, dans les confidences indiscrètes, mais involontaires, de chacun des acteurs un interprète docile, éloquent, et capable de satisfaire à tous les besoins du sujet.

Ces conditions, que je crois vraies, ont-elles été remplies ?

L’insulte publique faite à Lucrèce par les jeunes seigneurs de Venise, la conduite imprudente de Gennaro à Ferrare, la vengeance impitoyable qui enveloppe dans un même linceul toutes les victimes prédestinées, les prières et les caresses de la fille d’Alexandre vi auprès d’Alphonse pour sauver Gennaro, et plus tard ses dernières et désolées instances pour obtenir la vie, tels sont les élémens principaux du poème dramatique de M. Hugo. Si je ne dis rien du voyage d’Alphonse à Venise, c’est qu’en vérité, il est fort difficile de s’en souvenir ; c’est que l’entrée et la sortie du duc de Ferrare passent inaperçues au milieu des mille spectacles de la soirée, c’est que le poète n’y insiste pas assez pour fixer l’attention.

Or, à mon avis, pour justifier poétiquement l’empoisonnement de Gennaro et le parricide qui devait dénouer la tragédie, un seul de ces trois incidens suffisait largement.

Ou bien Alphonse d’Est devait punir l’aventurier souillé des baisers de sa femme, et alors l’insulte publique de Venise et la dilacération de l’écusson des Borgia à Ferrare étaient fort inutiles à la conduite de l’action.

Ou bien Gennaro devait se mettre de moitié dans l’apostrophe flétrissante de ses amis à Lucrèce, et forcer le duc de Ferrare à le frapper du même coup que les jeunes seigneurs vénitiens qui ont démasqué sa femme, et rendre impuissante la protection de sa