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LITTÉRATURE COMPARÉE.

Messieurs, je viens de vous tracer la route que nous ferons ensemble. Elle part de l’antiquité grecque et latine, coudoie les antiquités germaines et celtiques, va chercher l’Orient, et, traversant la Provence, rentre dans notre pays ; puis en sort, parcourt l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, l’Allemagne. Voyage immense, que nous achèverons pourtant sans poser le pied hors de la terre de France, car ce chemin, tel que je viens de le tracer sur la carte du monde, que l’on parle poésie ou guerre, c’est le chemin de nos conquêtes.

Vous le voyez, messieurs, bien que les littératures étrangères jouent un grand rôle dans ce cours, l’intérêt de nationalité, à défaut d’autres, ne lui manquera pas, et je ne serai pas infidèle à l’objet de cette chaire, tout en demeurant fidèle à mes études.

Ce n’est pas tout, messieurs, j’ai tracé la route que nous suivrons, mais je n’ai pu vous indiquer tout ce que nous rencontrerons des deux côtés du chemin. Mille excursions nécessaires nous attendent ; nous aurons, tout en marchant, mille questions à poser et à résoudre : car nous voulons pleinement connaître le rôle que la littérature française a joué en Europe au moyen âge. Pour cela, il ne suffit pas d’étudier ses rapports de filiation, de génération pour ainsi dire, les seuls dont j’aie parlé aujourd’hui ; il faudra la comparer avec ses rivales sous tous ses aspects et dans toutes ses parties.

Nous la ferons, messieurs, cette étude comparative sans laquelle l’histoire littéraire n’est pas complète ; et si, dans la suite des rapprochemens où elle nous engagera, nous trouvons qu’une littérature étrangère l’emporte sur nous en quelque point, nous reconnaîtrons, nous proclamerons équitablement cet avantage ; nous sommes trop riches en gloire pour être tentés de celle de personne, nous sommes trop fiers pour ne pas être justes.

Messieurs, notre part est assez belle ; trois fois la civilisation française s’est placée à la tête de l’Europe : au moyen âge, par notre littérature, par nos croisades et notre chevalerie ; au dix-septième siècle, par le génie de nos écrivains et le règne de Louis xiv ; au dix-huitième, par l’ascendant de notre philosophie et les triomphes de notre glorieuse révolution. Et aujourd’hui nous arrêterions-nous dans la voie du progrès, qui est la voie de l’humanité ? Non, mes-