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tournant vers moi. Elle avait les yeux tout humides. Elle avait pleuré. Moi, je sanglotais.

— Comment ? c’est vous, John ! mais vous voulez donc me désespérer ce soir, dit madame de Nanteuil violemment émue.

Sans pouvoir répondre, je m’étais précipité à ses pieds ; ses adorables pieds nus ; je les couvrais de larmes et de baisers. Elle se laissa retomber sur la causeuse. J’embrassai ses genoux. J’y cachai ma tête et mes pleurs. Je ne sais combien de temps je pleurai ainsi ; mais je n’ai jamais pleuré avec tant d’ivresse et de bonheur. — J’aurais pleuré là toutes mes larmes.

Mais Marie me passa l’une de ses douces mains dans les cheveux, et de l’autre me frappant la joue doucement, elle se pencha vers moi et me dit à voix basse.

— Vous avez été bien méchant ce soir, John.

Je relevai la tête, et mon front se trouva sous ses lèvres.

— Je ne vous ai pas embrassé au moins, ajouta-t-elle, croisant ses deux bras sur mon cou et cachant mon visage contre son cœur.

— Oh ! grâce pourtant, Marie ! dis-je soulevant mes yeux encore tout humides vers les siens, je suis venu vous demander mon pardon. Pardonnez-moi. Ce sont des fleurs qui m’ont fait coupable, et ce sont des fleurs aussi qui ont éveillé mes remords ; ce sont des fleurs qui ont rouvert en moi la source des larmes et de la tendre pitié ; ce sont des fleurs qui m’ont ramené à vos pieds ! grâce !

Et je tirai les deux petits bouquets de violette de mon sein, et je les lui montrai, et je les glissai dans son peignoir entrouvert. Puis je lui contai en pleurant comment j’avais, tout-à-l’heure, acheté ces bouquets de la pauvre marchande, qui les voulait donner tous les deux pour un sou ! Je lui contai, comment je n’avais pu m’empêcher de courir à l’instant les apporter à ma chère Marie, sans m’expliquer pourquoi, sans me demander à quoi bon.

Et je la tenais en même temps enlacée aussi de mes bras. Je roulais mon visage dans son sein. Je baisais son peignoir et j’y essuyais mes yeux. Et je sentais ses larmes mouiller mes cheveux. Et le parfum des violettes qui se froissaient sur son cœur, se mêlant à celui de son haleine que j’aspirais, s’exhalant avec ses soupirs, me pénétrait au plus profond de l’âme et achevait de m’enivrer.

Ce fut encore un long silence de pleurs et d’extase.