Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/377

Cette page a été validée par deux contributeurs.
371
LES BOUQUETS.

Je n’ouvris donc pas la bouche. Je me contentai de me ronger moi-même et de boire mon fiel à longs traits.

Lorsque nous fûmes arrivés à l’hôtel de madame de Nanteuil, je lui offris cependant mon bras. Je me disposais à la mener à son appartement ; mais elle, s’arrêtant sous le vestibule, au bas de l’escalier :

— Il est un peu tard, mon ami, me dit-elle ; ne montez pas. Vous avez quelque chose ce soir ; vous êtes malade. Rentrez chez vous. Faites-vous reconduire dans ma voiture. À demain ; vous serez mieux demain, j’espère.

Et elle me tendit la main. Sa main, — je la pressai dans la mienne, mais je ne la portai point à mes lèvres. — Oh ! non ! je ne l’osai pas ; j’en étais indigne. Je me rendis au moins cette justice.

V.

Onze heures et demie sonnaient quand je sortis de l’hôtel de madame de Nanteuil. Je n’avais pas voulu prendre sa voiture. Bien qu’une pluie glacée commençât à tomber, j’avais préféré m’en aller à pied. Il me semblait que le froid détendrait un peu mes nerfs et calmerait leur irritation. Je suivis donc les boulevards, et marchai rapidement jusqu’à la rue de Grammont ; là je dus m’arrêter et chercher un abri sous l’auvent d’un café. Il pleuvait à torrens et j’étais déjà tout inondé.

Ce traitement par les douches que je venais de me faire subir, au lieu de me guérir, avait au contraire singulièrement aggravé mon mal. J’avais maintenant comme le transport au cerveau : si ce n’eût pas été seulement un sale et misérable ruisseau, si c’eût été une large et profonde rivière qui eût coulé là, à quelques pas de moi, j’aurais de grand cœur et avec délices couru m’y précipiter.

Autour de moi, tout était triste, sombre et désespéré comme mon âme. J’avais vu se fermer successivement toutes les boutiques voisines. Les lumières s’étaient éteintes aux croisées des maisons. Les