Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/376

Cette page a été validée par deux contributeurs.
370
REVUE DES DEUX MONDES.

pressées les unes contre les autres, comme des femmes dans un rout ? Est-ce ainsi que la nature groupe ses fleurs sur leurs tiges ? — Pourquoi les entasser de cette sorte et les empêcher de respirer ? Pourquoi les entourer de branches d’if et de mélèze, de même que de fortifications ? Sont-ce donc des bouquets de défense que l’on veut faire ? Je le croirais vraiment à leur construction et à leur poids.

— Voici une fort belle philippique contre les bouquets de bal ; mais calmez-vous, mon ami, calmez-vous, me dit madame de Nanteuil, appuyant doucement sa main sur les miennes. Vous êtes fou, je crois, ce soir, John. Voyons, écoutez le chœur des religieux qui commence, cela vous apaisera peut-être, cela vous fera du bien.

Ni ce chœur, ni le chant de l’orgue, ni l’admirable trio de Robert, de Bertram et d’Alice, ne me furent du moindre secours. Tous ces flots de profonde et pénétrante musique vinrent se briser contre mon cœur sans l’inonder, sans l’amollir, sans le pénétrer. Je demeurai l’œil sec.

Bien plus, je fus insupportable tant que dura cet acte. Je le gâtai pour madame de Nanteuil. Je trouvai madame Damoreau faible et Nourrit exagéré ; je regrettai Levasseur et mademoiselle Dorus. Bref, tandis que la salle entière était ravie d’enthousiasme et brisée d’émotion, je ne sus que chercher d’absurdes et misérables objections contre ce noble et universel élan, qui faisait palpiter à la fois tant de milliers de cœurs d’un seul et même battement.

IV.

Le spectacle fini, je descendis avec madame de Nanteuil, et montai après elle dans sa voiture.

Durant tout le trajet de la rue Lepelletier au faubourg Saint-Honoré, nous n’échangeâmes pas un seul mot. Madame de Nanteuil n’avait rien à me dire, il est vrai ; c’était à moi de la supplier et de lui demander grâce. Mais je ne voulus pas me démentir apparemment. Je voulus compléter la soirée ; je voulus être conséquent.