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REVUE. — CHRONIQUE.

stance, leur rang dans le monde, leur caractère bien exposé, dans un style simple, naturel, énergique et toujours élégant ; enfin le sixième but qu’on se proposait, encore en ce temps de M. Alexandre Duval, était de faire arriver les héros à une catastrophe qui n’inspirât pas une trop grande horreur. En ce temps de modération, on n’allouait pour un dénouement qu’une horreur raisonnable, une horreur tempérée, une horreur à cinq ou six degrés au-dessus de zéro, selon le baromètre académique.

Ayant au surplus énuméré les six conditions de perfection, voilà s’écrie ingénûment M. Alexandre Duval, voilà les règles que mes contemporains et moi avons toujours suivies.

Les conclusions du réquisitoire de M. Alexandre Duval sont néanmoins pleines d’indulgence et toutes paternelles. Loin de requérir la moindre peine contre nos septembriseurs littéraires, il leur déclare avec humilité qu’il n’a point l’orgueil d’être un grand maître, mais que si quelqu’un d’entre eux voulait bien prendre la peine de passer chez lui, il lui apprendrait volontiers à charpenter une pièce, à préparer une situation et à enchaîner des scènes ; en un mot qu’il lui donnerait une bonne leçon d’art dramatique.

S’il n’a point été coupé précisément en morceaux comme ce malheureux Ramus, dont les ébats de la cour d’assises viennent de nous révéler dans tous ces détails l’horrible mort, M. Tardif, le substitut du procureur général, a récemment aussi été victime d’un bien odieux assassinat. M. Tardif se porte à l’heure qu’il est mieux que vous et moi, mais cela n’empêche point qu’il ait reçu, pendant qu’il dormait, la nuit du 27 décembre dernier, une violente tape sur la tête, et sur la poitrine, vingt-quatre blessures, toutes constatées par M. le docteur Breschet.

Fort heureusement pas une de ces blessures ne s’était trouvée mortelle. La plupart, selon le rapport même du docteur, n’avaient divisé qu’incomplètement le tissu cutané et la plus profonde n’allait pas au-delà de l’épaisseur de la peau. On eût dit vraiment des égratignures opérées par les griffes d’un chat. Ou bien, c’était comme si quelque maladroit somnambule se fût avisé de venir repasser gauchement son rasoir sur l’estomac de M. le substitut du procureur général.

Il y eut pourtant de malicieuses personnes qui prétendirent qu’en cette occurrence M. Tardif avait joué tout uniment la tragédie, et que pour se rendre intéressant il s’était impitoyablement assassiné lui-même. Mais M. Tardif n’entend pas raillerie sur son assassinat. Il vient de publier un mémoire dans lequel il se défend hautement d’avoir été son propre meurtrier. M. Tardif prouve clair comme le jour, qu’il n’a nullement trempé les mains dans son sang de substitut. Et puis à ceux que n’auraient point encore